En 2021, quelle place occupent les femmes astronautes dans l'espace ?

Tracy Caldwell, Naoko Yamazaki, Dorothy Metcalf-Lindenburger et Stephanie Wilson dans la Cupola dans l'International Space Station, en 2010. © NASA
Le 20 juillet 2021, Wally Funk devient officiellement astronaute en volant à bord de la fusée New Shepard de Blue Origin, une revanche tardive pour l’ancienne membre des Mercury 13. Aujourd’hui, il n’est plus étonnant de voir des femmes aller dans l’espace. Mais à quel point les temps ont-ils changé ?

Le 20 juillet 2021, à 82 ans, Wally Funk s’est envolée le temps de quelques minutes à bord de la fusée New Shepard du fondateur d’Amazon, Jeff Bezos. Ce faisant, elle est devenue la personne la plus âgée à être allée dans l’espace, détrônant ainsi l’astronaute américain John Glenn, qui détenait jusqu’alors ce titre après avoir effectué un dernier vol à l’âge de 77 ans. Un record qui sonne comme une revanche sur le passé.

En 1962, ce même John Glenn assène devant le Congrès : “Le rôle des hommes est d’aller à la guerre et dans l’espace. Les femmes ne sont pas faites pour ces activités.” Les FLATs (First Lady Astronaut Trainees), dont fait partie Wally Funk, viennent de se voir refuser leur unique chance d’aller un jour dans l’espace. Ce programme, plus connu sous le nom de “Mercury 13” – en référence aux Mercury Seven, le premier groupe d’astronautes sélectionnés par la NASA – a été lancé au début des années 60 par le docteur William R. Lovelace. Ce dernier, qui a participé au processus de sélection des Mercury Seven, souhaite mener une expérience indépendante, basée sur une question : les femmes sont-elles aussi capables que les hommes d’aller dans l’espace ?

Mercury 13, une performance passée sous silence

Lovelace fait donc passer une batterie de tests à ce que le pays compte de meilleures pilotes, qu’il met à l’épreuve de la même façon que les astronautes. À l’issue de cette sélection, treize femmes vont se démarquer, obtenant des résultats qui égalent, voire dépassent parfois, ceux des Mercury Seven. La plus jeune d’entre elles, Wally Funk, 21 ans, bat même tous les records. Elle reste 10 heures et 35 minutes enfermée dans une cuve plongée dans le noir complet, en isolation phonique.

Sept membres des FLATs en 1995. De gauche à droite : Gene Nora Jessen, Wally Funk, Jerrie Cobb, Jerri Truhill, Sarah Rutley, Myrtle Cagle et Bernice Steadman.
Sept membres des FLATs en 1995. De gauche à droite : Gene Nora Jessen, Wally Funk, Jerrie Cobb, Jerri Truhill, Sarah Rutley, Myrtle Cagle et Bernice Steadman. © NASA

Ces résultats indiquent donc que les femmes sont non seulement parfaitement aptes à être astronautes, mais qu’elles sont même souvent meilleures que les hommes. Alors quand les dirigeants de la Nasa entendent parler du programme du docteur Lovelace, ils lancent une procédure au Congrès pour l’interrompre, soutenus par le président des Etats-Unis Lyndon B. Johnson. Les pilotes exceptionnelles de Mercury 13 n’iront jamais dans l’espace, pour la seule et unique raison qu’elles sont des femmes dans un monde gouverné par des hommes. “Les gars voulaient garder le job pour eux. Nous avons toutes été victimes du sexisme de la Nasa”, nous déclarait Wally Funk en 2003*.

Seulement 19% des astronautes actifs

Le vol de Wally Funk est certes un pied-de-nez aux discriminations misogynes, mais il s’agit avant tout d’une revanche personnelle dépendante du bon vouloir d’un homme multimilliardaire. Depuis les années 60, les temps ont-ils réellement changé pour les femmes dans l’espace ? C’en est certes terminé du sexisme institutionnalisé au sein des grandes organisations de l’industrie spatiale – du moins en théorie. Malgré cela, les femmes ne représentent toujours que 19% des astronautes actifs.

Jusqu’à aujourd’hui, 65 femmes se sont rendues dans l’espace, soit 11 % des astronautes à avoir volé. Parmi elles, il convient de citer la pionnière, la soviétique Valentina Terechkova, qui ouvre la voie avec la mission Vostok-6, en 1963. La russe Svetlana Savitskaya, première femme à avoir fait une sortie extravéhiculaire, ne lui succédera que vingt ans plus tard, en rejoignant pour quatre mois la station spatiale Saliout-7 en 1982. Une victoire pour l’URSS... et une sacrée déconvenue pour les Etats-Unis dans la course à la conquête spatiale.

Mais les Américains se sont bien rattrapés depuis. Avec Sally Ride (en 1983) débute une ère de grandes premières spatiales féminines, que l’on doit pour la plupart à la Nasa. La première astronaute afro-américaine, Mae Jeminson, en 1992 ; la première commandante d’une navette spatiale, Eileen Collins, en 1999 ; ou encore la première commandante de l’ISS (Station spatiale internationale), Peggy Whitson, en 2007.

En haut à droite, Christina Koch et Jessica Meir lors de la première sortie extravéhiculaire exclusivement féminine, le 18 octobre 2019 à bord de l’ISS.
En haut à droite, Christina Koch et Jessica Meir lors de la première sortie extravéhiculaire exclusivement féminine, le 18 octobre 2019 à bord de l’ISS. © NASA TV

Si 78% des femmes déjà parties dans l’espace sont américaines, d’autres pays ont aussi sauté le pas. On peut citer entre autres l’Angleterre, le Canada (deux fois), le Japon, l’Italie, la Corée ou encore l’Iran. Et plus récemment, c’est la Chine qui a fait parler d’elle.

La CNSA (Administration spatiale nationale chinoise) n’a lancé son programme spatial habité Shenzhou qu’en 1999. Pourtant, ce départ tardif ne l’a pas empêchée d’envoyer assez rapidement sa première femme dans l’espace : Liu Yang, qui a passé treize jours à bord du prototype de station spatiale Tiangong-1 en 2012. Pour le moment, une seule autre Chinoise a pu rejoindre le club, Wang Yaping, en 2013. Aucune ne s’est encore rendue sur la CSS, la station spatiale chinoise actuelle – dont le premier module n’a cependant été mis en orbite qu’en avril 2021. Avec deux femmes sur dix astronautes envoyées à ce jour dans l’espace, la Chine est certes loin d’égaler la Nasa… mais elle fait mieux que la France.

L’Europe à la traîne

Une seule. Une seule Française, Claudie André-Deshays (aujourd’hui Haigneré), s’est retrouvée en orbite, en 1996, sur les dix astronautes qui ont déjà représenté notre pays dans l’espace. À l’échelle européenne, ce n’est pas beaucoup plus glorieux : à ce jour, l’Italienne Samantha Cristoforetti est la seule femme astronaute de l’ESA (Agence spatiale européenne), parmi sept. Elle s’est rendue sur l’ISS en 2014, et il est prévu qu’elle y tienne le poste de commandante en 2022.

Mais pourquoi les femmes sont-elles encore si peu présentes dans l’espace ? Cela s’expliquerait notamment par le peu de candidatures féminines spontanées aux campagnes de recrutement. Sont-elles, comme les astronomes femmes en France, victimes d’un complexe d’infériorité ? “Quand la seule femme qui candidate à un nouveau poste est recrutée, il y a toujours certaines personnes qui vont dire qu’elle a eu le job parce-qu’elle est une femme. Ça diminue le sentiment de réussite…”, nous explique Carmen Possnig, médecin et physiologiste qui a travaillé durant plusieurs mois dans la station Concordia, en Antarctique, afin d’expérimenter des conditions proches de la vie sur Mars. L’affirmation de soi devrait s’apprendre dès le plus jeune âge. “Quand les petites filles grandissent, il faudrait qu’elles aient des modèles à suivre, des scientifiques, des ingénieures… C’est une bonne chose si elles peuvent voir que ce sont des métiers où il peut y avoir autant d’hommes que de femmes.”

D’autant plus qu’elles sont tout aussi capables d’un point de vue physique. Selon certains, les opérations de maintenance extravéhiculaires nécessiteraient un trop grand effort musculaire pour les femmes… Or Christina Koch et Jessica Meir ont montré que c’était loin d’être le cas en accomplissant la première sortie véhiculaire 100% féminine en 2019, à bord de l’ISS.

Féminisation progressive de l’espace

Néanmoins, l’industrie spatiale tente de progresser. Depuis 2013, la Nasa recrute des promotions d’astronautes (presque) toujours paritaires. Une volonté de changement que l’ESA veut aussi incarner avec sa dernière campagne de recrutement d’astronautes, lancée début 2021, qui a particulièrement ciblé les femmes. Résultat : sur les 22 000 personnes à avoir postulé, 5 400 sont des femmes (soit 24%), dont un tiers sont françaises. C’est mieux que lors de la dernière campagne de 2008 (15% de candidates) à laquelle avait postulé Samantha Cristoforetti, mais encore loin d’une réelle parité. “Ça fait plaisir de voir qu’il y a une meilleure répartition des genres chez les candidats, mais les chiffres montrent aussi qu’il reste encore beaucoup à faire pour atteindre une égalité des genres dans le domaine spatial”, reconnaît David Parker, Directeur de l’Exploration Humaine et Robotique à l’ESA, lors d’une conférence de presse le 23 juin 2021. “Représenter la société dans son entièreté est une problématique que l’on prend très au sérieux.” Reste à voir, effectivement, combien de femmes occuperont les quatre à six postes d’astronautes à pourvoir. Verdict après le terme du parcours de sélection, en octobre 2022.

Une des affiches de la campagne de recrutement 2021 de l’ESA.
Une des affiches de la campagne de recrutement 2021 de l’ESA. © ESA

La conquête spatiale féminine prend chaque jour de l'ampleur. La Nasa a baptisé son ambitieux programme lunaire Artemis, d'après la sœur jumelle d’Apollon, qui avait prêté son nom au programme des années 1960-70. Dès 2019, Jim Bridenstine, ancien administrateur de la Nasa, le déclarait : “Il est probable que la prochaine personne sur la Lune sera une femme.” C’est aujourd’hui confirmé par la Nasa : ce sera une astronaute qui foulera le régolithe lunaire en premier. La promesse d’un petit pas pour la femme, et d’un pas de géant pour l’égalité ?

 

*Propos recueillis en 2003 par Emilie Martin (Ciel & Espace n°397)

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