Athéna Coustenis : « Avec Cassini, nous sommes allés de surprise en surprise »

Athéna Coustenis, astronome à l'obseravtoire de Paris. Crédit : DR
Alors que la sonde Cassini se désintègre dans l'atmosphère de Saturne, l’astronome Athéna Coustenis revient sur les avancées réalisées en planétologie grâce à cette mission unique.

Astronome à l'observatoire de Paris, Athéna Coustenis a travaillé sur la mission Cassini dès le stade de la définition de ses objectifs scientifiques. Alors que nous vivons les derniers instants de la sonde autour de Saturne, elle fait le bilan des avancées réalisées en planétologie grâce à elle.

 

La sonde Cassini a gravité pendant 13 ans autour de Saturne. Que retenez-vous principalement de cette épopée ?

Athéna Coustenis : Le succès technologique tout autant que scientifique monumental et inattendu, car une mission tellement grande et complexe aurait pu rencontrer des problèmes. Mais Cassini et son module Huygens ont opéré avec précision et efficacité. Ces deux engins ont rempli leurs objectifs au-delà de nos espérances. Au lieu des 4 années de mission nominale, nous en avons eu 13…

Huygens s’est posé sans encombre et a même survécu à l’atterrissage sur Titan pendant des heures. Ensuite nous sommes allés de surprise en surprise, avec la découverte des panaches d’Encelade, des lacs, de l’océan d’eau liquide et des cryovolcans sur Titan, avec les tempêtes sur Saturne et la structure fine des anneaux…

Cassini a totalement remis en cause certaines de nos théories sur le Système solaire

Cassini-Huygens nous a permis de remettre en cause toutes nos théories d’habitabilité dans le Système solaire en montrant que l’eau liquide existe même à 10 UA du Soleil [soit 10 fois la distance Terre-Soleil, NDLR], que la chimie organique se développe dans des mondes lointains et privés d’oxygène et que des sources d’énergie autre que le soleil opèrent sur des tout petits mondes fabriquant des geysers…

Parmi les découvertes de Cassini et du module européen Huygens, il y a eu la surface de Titan, qui était restée totalement masquée par son épaisse atmosphère pour Voyager 1. Ce que vous y avez découvert vous a-t-il beaucoup surpris ?

A. C. : J’ai fait mon doctorat sur des données de Titan prises lors d’un survol en 1980 par la sonde Voyager 1, soit des années après les faits… J’ai étudié ainsi l’atmosphère avec ces données obtenues dans l’infrarouge lointain qui nous procuraient plein d’informations sur la composition et la température du satellite, mais qui ne permettaient pas de percer l’épaisse couche nuageuse. La surface de Titan restait donc un mystère.

Les instruments de Huygens et de Cassini, opérant dans l’infrarouge proche, allaient donc nous dévoiler cette surface. Et pendant le voyage, on a fait des observations de Titan avec les grands télescopes au sol, on a établi des théories, on a préparé le terrain et on s’est cru prêts à affronter la réalité.

La surprise fut immense. Je n'arrivais pas à croire ces images

Mais la surprise fut immense. Je me rappelle voyant les premières images acquises par le spectromètre imageur de Huygens pendant la descente et quand il s’est posé : les cailloux sur un sol qui rappelle un lit de rivière, sauf que c’est du méthane qui coulerait sur Titan.

Je n’arrivais pas à croire le détail de ces images, les canaux griffés sur les flancs des collines avoisinantes, et les dunes ! Aucun d’entre nous n’avait pu imaginer tout ça. On découvrait un nouveau monde à 1,5 milliard de kilomètres de distance. Un monde qui présentait des aspects rappelant notre planète (les motifs à la surface, la chimie organique dans l’atmosphère, la météorologie avec de la pluie et des tempêtes…), mais en même temps un monde différent, unique, où les saisons durent 7,5 années, la journée 384 heures, où les liquides qui coulent et qui remplissent les lacs sont des hydrocarbures, les volcans éjectent de la glace au lieu de la lave… et ainsi de suite.

Nous n’aurions pas pu imaginer un monde plus extraordinaire et familier en même temps… Nous n’avions qu’une hâte : se mettre au travail et en découvrir plus sur les processus qui gouvernent cet environnement. Des surprises nous attendent sans doute encore avec les données les plus récentes de Cassini.

Peut-on considérer que Cassini va enfin permettre, après des siècles d'observations depuis Christiaan Huygens, de comprendre l'origine et la dynamique des anneaux de Saturne ?

A. C. : La question de l’origine des anneaux de Saturne est parmi les plus fondamentales et les plus débattues. Pendant des années, la sonde Cassini a observé les anneaux et nous a retourné quelques-unes des images les plus extraordinaires et précises de cet objet unique dans le Système solaire, mais lors des 22 derniers passages entre Saturne et les anneaux, nous allons peut-être pouvoir enfin obtenir une réponse. Car les théories divergent à ce sujet.

Une école de pensée dit qu'ils datent de la formation de la planète, il y a environ 4,6 milliards d'années. En d'autres termes, qu’ils existent aussi longtemps que la planète.

Mais selon d’autres, les anneaux sont un ajout potentiellement plus récent. Ils pourraient être le résultat de la rupture d'un satellite (Saturne en a plus de 60) ou d’une comète, ou peut-être de plusieurs lunes à des moments différents. Dans ce scénario, Saturne peut avoir été privée d’anneaux pendant longtemps après sa formation.

Il semblerait que la clé de la datation des anneaux réside dans des observations très proches, visant à déterminer essentiellement leur niveau de « saleté ». Parce que les petites météorites et la poussière sont omniprésents dans l'espace, les anneaux auraient beaucoup plus de masse s'ils étaient là depuis 4,6 milliards d'années. Mais si les dernières mesures nous montrent qu’ils sont relativement propres, alors leur âge est probablement plus jeune, et même peut-être beaucoup plus jeune.

Les ultimes données de Cassini devraient nous permettre de trancher le débat des anneaux

Cassini nous permettra de déterminer avec précision la composition, la densité et la masse des anneaux. Si les anneaux sont massifs et composés de glace sale, alors ils sont vieux. Sinon, les anneaux doivent être jeunes. Nous pourrions enfin ainsi grâce à Cassini arriver à la fin d'un grand débat. 

De plus, ce voyage entre les anneaux permettra également de fournir de nouvelles informations sur le fonctionnement des disques présents lors de la formation des systèmes planétaires. En effet, les anneaux peuvent nous renseigner sur la physique des disques, qui sont d'énormes anneaux tournant autour d’une nouvelle étoile de façon synchrone et dans lesquels se forment des planétésimaux qui donnent par la suite naissance aux planètes, à l’instar de la formation des tout petits satellites dans les divisions des anneaux de Saturne. Son environnement étonnant a donc une pertinence directe pour les modèles des nébuleuses protoplanétaires.

À son départ en 1997, Cassini était considérée comme la dernière grande sonde de la Nasa (à l'époque, le slogan de l'administrateur de la Nasa était “cheaper, faster, better” ). Renverra-t-on un vaisseau aussi complexe vers Saturne un jour ?

A. C. : Nous avons proposé à la Nasa et l’Agence spatiale européenne (ESA) une grande mission vers le système de Saturne pour faire suite à Cassini. Un projet très ambitieux avec un orbiteur autour de Titan effectuant aussi des survols d’Encelade, avec un ballon qui survolerait l’équateur à 10 km d’altitude, et une sonde qui se poserait dans l’un des lacs.

Les agences spatiales ont étudié cette mission de 2008-2010, mais priorité fut donnée à une mission vers le système de Jupiter (JUICE) qu’il est aussi extrêmement important d’étudier. Depuis, des propositions de missions spatiales vers Saturne (pour étudier la planète, les satellites ou les anneaux) sont déposées tous les ans à chaque appel à idées des agences. Il est à espérer qu’un de ces concepts, plus simples peut-être (et moins onéreux), verra le jour.

La future fusée SLS pourrait réduire de moitié le temps de trajet d'une sonde vers Saturne

Notamment si la fusée américaine Space Launch System (SLS) devient opérationnelle, ce qui nous permettrait d’atteindre le système de Saturne en 2-3 ans au lieu des 7-8 ans nécessaires avec un lanceur habituel. Un tel lancement est prévu pour une mission américaine vers Europe (Europa Clipper), le satellite de Jupiter, en 2022.

On pourrait envisager de s’en servir aussi pour d’autres missions vers le Système solaire externe, ce qui nous ferait gagner beaucoup de temps et dans le cas de Saturne nous permettrait aussi peut-être d’atteindre notre but lors d’une saison différente de celle étudiée par Cassini.

Que ressentez-vous, maintenant que la mission de Cassini est terminée ?

A. C. : Pour moi, Cassini-Huygens était un rêve car j’ai suivi la mission depuis les premières étapes de son développement, participant et contribuant à la définition des objectifs et des instruments.

J’ai vécu son lancement en 1997, son arrivée en 2004, la descente de Huygens en janvier 2005. Assister maintenant à sa fin, vingt ans plus tard, me procure un sentiment de complétude, de travail bien accompli et de gratitude envers tous ceux qui ont permis cette fabuleuse aventure. Je ne peux souhaiter rien de meilleur aux jeunes astronomes…

 

Pour en savoir plus :

Découvrez notre dossier détaillé sur les découvertes de Cassini et l’exploration future de Saturne dans le magazine Ciel & Espace n° 555, en kiosque le samedi 16 septembre.

Un final à suivre en direct le 15 septembre : dès 11 h, la Cité des sciences, à Paris, accueille le public pour assister en direct à la fin de la mission Cassini.

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