Oumuamua, vecteur de propagande extraterrestre

Oumuamua, voilier interstellaire… ou coup de pub ? Crédit : DR
Avec la publication de deux chercheurs d’Havard, l’hypothèse que l’objet interstellaire Oumuamua soit un vaisseau extraterrestre est revenue sur le devant de la scène médiatique. Si l’idée n’est pas à exclure, elle se montre si exotique qu’elle revêt tous les atours d’un coup de pub…

« Quand vous avez exclu l’impossible, quoi qu’il reste, même improbable, doit être la vérité. » En faisant sienne cette maxime de Sherlock Holmes, l’astrophysicien Abraham (Avi) Loeb, du département d’astronomie de l’université d’Harvard, aux États-Unis, n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, il existe réellement une bonne chance pour que l’objet interstellaire Oumuamua soit un vaisseau extraterrestre. Peut-être même est-il en état de marche.

Avi Loeb ne s’en tient pas à de simples déclarations tapageuses de nature à être reprises par les grands médias. Pour affirmer cela, il s’est fendu, avec son collaborateur en postdoctorant Shmuel Bialy, d’un article scientifique à paraître le 12 novembre 2018 dans Astrophysical Journal Letters. Autrement dit, il a réalisé une étude qui a été validée par des pairs avant d’être intégrée à une revue scientifique plutôt sérieuse.

Un corps céleste unique

Pour rappel, Oumuamua, c’est ce petit corps céleste détecté en octobre 2017 non loin de l’orbite de Mars et dont la trajectoire a immédiatement indiqué aux astronomes qu’il venait de l’extérieur du Système solaire. Observé par de grands télescopes alors qu’il s’éloignait déjà, l’objet avait étonné par sa forme présumée. En effet, alors qu’il n’est qu’un point sur les photos des télescopes, sa luminosité, en variant de manière périodique, a suggéré qu’il ressemblait à une baguette de pain, un astre très allongé donc.

Toutefois, cette forme, abondamment reprise dans les vues d’artistes de l’objet, a imposé l’image d’un corps de 400 m de long pour 40 m de large, ce dont on n’est pas du tout certain. Ce rapport de 1 à 10 entre sa largeur et sa longueur pourrait aussi bien se limiter à 1/3… Loin, donc, de la forme d’un vaisseau spatial typique des séries de science-fiction, il pourrait ressembler à Kleopatra, un astéroïde allongé du Système solaire.

Modélisation de la forme de Kleopatra d’après des données radar de l’observatoire d’Arecibo. Si le rapport
largeur/longueur d’Oumuamua est de 1/3, notre visiteur interstellaire pourrait lui ressembler. © Nasa/JPL

Enfin, la nature exacte d’Oumuamua reste très discutée par les astronomes : astéroïde pour les uns, comète pour les autres. Vu que l’objet, après avoir traversé le Système solaire, est reparti dans l’espace interstellaire et se trouve hors de portée des plus puissants télescopes, il sera bien difficile de trancher. Une seule chose semble probable : il a été éjecté d’un autre système par le jeu d’interactions gravitationnelles entre plusieurs planètes.

Une thèse exotique

Que dit Avi Loeb à propos d’Oumuamua dans son article ? L’intéressé résume : « Oumuamua dévie d’une trajectoire qui est uniquement dictée par la gravité du Soleil. Ceci aurait pu résulter d’un dégazage cométaire, mais il n’y a aucun indice d’une queue de comète autour de lui. En outre, les comètes changent la période de leur rotation et aucune variation de ce type n’a été détectée pour Oumuamua. L’excès d’accélération d’Oumuamua a été détecté plusieurs fois, ce qui exclut une impulsion due à une fragmentation de l’objet. La seule explication qui vient à l’esprit est la force supplémentaire exercée sur Oumuamua par la lumière du Soleil. Pour qu’elle soit efficace, Oumuamua doit avoir une épaisseur de moins d’un millimètre, comme une voile. Ceci nous conduit à suggérer qu’il peut être une voile solaire produite par une civilisation extraterrestre. » Le chercheur n’en reste pas là. Il enfonce le clou sans nuance : « J’accepte les autres propositions, mais je ne peux pas penser à une autre explication de l’accélération particulière d’Oumuamua. »

Une hypothèse acceptable

Scientifique, cette hypothèse est-elle valable ? Oui, puisque l’article a été accepté pour une publication. Les faits sur lesquels il se fonde sont exacts. Il s’agit de données récoltées lors des observations de l’objet. En particulier, il est vrai qu’aucun changement de la période de rotation de ce corps céleste n’a été remarqué. Il est également vrai qu’une fois sur sa trajectoire de fuite du Système solaire, il a accéléré de manière mystérieuse. Par conséquent, si l’on exclut qu’une partie de sa glace se soit vaporisée à la chaleur du Soleil (c’est ce qu’Avi Loeb et les astronomes en général appellent le dégazage) et lui ait communiqué un surplus de vitesse à la manière d’un moteur de fusée, il faut trouver une autre force.

Celle invoquée par le chercheur d’Harvard, la pression de la lumière solaire, existe bien. C’est d’ailleurs elle qui permet de pousser les vaisseaux à voile solaire. Elle modifie aussi, lentement, la trajectoire et la rotation de certains astéroïdes (on appelle cela l’effet Yarkovsky). Mais pour qu’elle puisse opérer sur Oumuamua, il faut que celui-ci ait une forme adéquate (l’incertitude sur celle-ci permet de l’envisager), mais aussi une masse volumique et, au final, une épaisseur très faibles. Sur le plan du raisonnement, le scénario se tient. L’hypothèse de Loeb et Bialy est acceptable.

Mais une idée osée

L’astrophysicien Sean Raymond.
Courtesy S. Raymond

Toutefois, la possibilité qu’Oumuamua soit un vaisseau extraterrestre à la dérive ou piloté (les deux cas sont envisagés par les auteurs) n’apparaît pas comme l’explication la plus simple à son accélération post-rencontre avec le Système solaire. C’est l’avis de Sean Raymond, spécialiste de la formation des systèmes planétaires à l’université de Bordeaux : « J’apprécie bien ce genre d’article, qui explore les limites du possible. Mais il ne faut pas le prendre trop au sérieux. Ce n’est pas dans les 10 ou 100 explications les plus probables. »

D’abord, le dégazage a pu passer inaperçu. L’origine de l’accélération trouverait alors son explication la plus naturelle, sans grand mystère. Ensuite, si des jets de gaz sont apparus en divers endroits de la surface, ils pont pu annuler leurs effets de sorte que le changement dans la période de rotation a pu demeurer infime. Sur ce point, les astronomes avouent peiner à fournir une solution pleinement satisfaisante (lire à ce sujet Ciel & Espace n° 562 p.21).

Enfin, Oumuamua a pu être accéléré par la pression de la lumière du Soleil parce qu’il est naturellement un corps très peu dense. Avi Loeb et Shmuel Bialy l’envisagent d’ailleurs dans leur article scientifique : « Alors, Oumuamua représente une nouvelle classe de matériau interstellaire mince, produit naturellement par un processus encore inconnu dans le milieu interstellaire ou dans un disque protoplanétaire… » Avant d’ajouter : « ou d’une origine artificielle ». Et les deux scientifiques préfèrent explorer en détail cette seconde hypothèse. Au point de se montrer très affirmatifs. Avi Loeb se ménage tout de même quelques précautions dans ses déclarations : « Il est excitant de vivre à une époque où nous avons la technologie scientifique pour chercher des indices de civilisations extraterrestres. L’indice à propos d’Oumuamua n’est pas décisif, mais intéressant. Je serai vraiment excité une fois que nous aurons une preuve décisive. »

En science, mieux vaut toujours privilégier la solution la plus simple. Alors, pourquoi privilégier une hypothèse certes acceptable, mais peu raisonnable ? L’autre « casquette » d’Avi Loeb n’y serait-elle pas pour quelque chose ? Le chercheur a intégré voici trois ans le comité de conseillers du projet Breakthrough Starshot. Financé à hauteur de plus de 100 millions de dollars par le milliardaire russe Youri Milner, cette initiative vise à concevoir un vaisseau automatique capable de rallier Proxima du Centaure en l’étoile la plus proche, en quelques années. Or, l’option technique choisie repose sur une flotte de microvaisseaux… à voile solaire qui seraient propulsés à près de 20% de la vitesse de la lumière par un ensemble de faisceaux lasers. Si l’idée renouvelle le genre de manière astucieuse et séduisante (Ciel & Espace y reviendra prochainement), son étude de faisabilité n’en est qu’à ses premiers pas et les obstacles techniques à surmonter demeurent nombreux.

Tous les attributs d’un buzz organisé

Voir dans Oumuamua une voile solaire extraterrestre serait-il tout simplement un moyen d’attirer l’attention sur un projet quelque peu oublié ? Réveiller un buzz endormi en supposant fortement que des voiles solaires sillonnent déjà la Galaxie n’est pas une si mauvaise idée, après tout…

Procès d’intention à l’encontre de deux chercheurs qui sortiraient des sentiers battus ? Pas vraiment car la rapidité avec laquelle Avi Loeb a répondu à notre message, le 6 novembre, nous en préserve. Seulement deux minutes après avoir reçu notre mail contenant cinq questions précises sur sa publication, l’intéressé renvoyait une réponse préparée à l’avance, avec en pièce jointe un document PDF défendant de manière ferme et imagée ses conclusions sur la nature d’Oumuamua.

Avi Loeb n’a matériellement pas eu le temps d’écrire le corps de ce long mail en deux minutes. Une conviction renforcée par le fait qu’il ne contenait aucune réponse à nos questions — notamment celle sur un lien éventuel entre son hypothèse pour Oumuamua et sa participation au Breakthrough Starshot —, juste un ensemble d’éléments de langage déjà mis en forme, prêts à une diffusion sans filtre dans les médias. Enfin, évidemment, son document de communication était déjà prêt.

Les « observations » nous conduisent donc à considérer cette hypothèse d’un buzz organisé à des fins de communication décidément bien plus raisonnable que celle d’une origine extraterrestre d’Oumuamua.

 

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