Un congrès d’astronomie raconté de l’intérieur (IV)

L'explosion de supernova la plus récemment observée à faible distance, 1987A. © Nasa
Le congrès scientifique : un grand classique dans la vie du chercheur ! L’astrophysicienne Yaël Nazé nous dévoile les coulisses de l'un de ces rendez-vous professionnels, qui se tient à Auckland, en Nouvelle-Zélande, du 28 novembre au 2 décembre 2016. Aujourd’hui, rencontre avec son organisateur.
J.J. Eldridge. © Y. Nazé

Le chemin de croix de l’organisateur

Aucun symposium n’existerait sans organisateurs. Bien sûr, les comités d’organisation (local et scientifique) aident, mais un guide général est nécessaire. Pour l’IAUS 329, l’âme du congrès est J.J. Eldridge. Rencontre.

« – J.J. Eldridge, vous êtes à l’origine de ce congrès néo-zélandais sur les étoiles massives. Qui êtes-vous ?

– Je suis britannique et un kiwi d’adoption. Je suis aussi amateur de science-fiction et astrophysicien — terme plus approprié qu’astronome, car j’essaie de comprendre la physique à l’œuvre dans le cosmos.

– Quels sont vos domaines de recherche ?

– J’aime un peu tout dans l’Univers, mais j’ai un penchant stellaire, et mes étoiles favorites sont les binaires. Elles sont si marrantes ! Vous savez, pour comprendre les galaxies, proches ou lointaines, ou même le Système solaire, il faut comprendre les étoiles. Mais souvent, les scientifiques interprètent les observations de supernovae, amas, ou galaxies, à l’aide de modèles stellaires considérant les étoiles comme des objets isolés.

Or, beaucoup d’entre elles sont en fait des couples, et cet état modifie tous les aspects de leur vie ! Donc j’ai développé des modèles de population stellaires incluant les binaires. Ce n’était pas les premiers, certes, mais peu de gens travaillent là-dessus, et souvent il est impossible à d’autres d’utiliser les modèles. Modestement, j’ai pris la décision contraire : je voulais que mes modèles soient accessibles à tous, et testés sous tous les angles.

– Vous n’avez pas dormi depuis des jours, alors vous devez vous demander pourquoi avoir organisé une conférence !

– Eh bien, j’étais à la dernière grosse conférence consacrée aux étoiles massives, les fameux « beach meeting » comme on les appelle. C’était à Rhodes en 2013. J’ai rencontré Paul Crowther, de l’université de Sheffield, et comme il aime Auckland, il m’a suggéré d’y organiser la conférence suivante. Sans réaliser le travail que cela impliquerait, j’ai accepté avec enthousiasme et déposé une proposition à l’Union astronomique internationale (UAI).

– À votre avis, pourquoi votre proposition a-t-elle été sélectionnée ?

– L’endroit, l’endroit, et encore l’endroit. C’est un joli coin, non ? Les « beach meeting » essaient de changer de lieu. Les derniers étaient organisés aux îles Canaries, à Hawaï et à Rhodes — plutôt classique. Auckland proposait un (gros) changement, ça n’avait jamais été essayé. Je pense aussi que les gens avaient envie de venir ici — un effet « Peter Jackson » ou juste l’attrait d’une destination exotique ? En revanche, côté date, j’aurais préféré février 2017, pour le 30e anniversaire de la supernova SN1987A, qui a remis en question tellement de certitudes ! Peut-être une prochaine fois ?

– Et pourquoi Auckland ?

– Aller ailleurs aurait impliqué un vol supplémentaire ou un déplacement par route, ce qui aurait coûté plus cher et pris plus de temps. On aurait pu l’organiser en centre-ville, mais Takapuna, quartier périphérique, possède un avantage pour un « beach meeting » : une belle plage, à 10 minutes à pied d’un hôtel-centre de conférences ! C’est en fait le seul endroit comme ça à Auckland !

– Organiser ce congrès vous a pris combien de temps ?

– Si on prend tout en compte, plusieurs années de ma vie. Pas à plein temps au début, mais dans les derniers mois, c’était un vrai fardeau : en dehors de l’enseignement et de la conférence, plus de temps pour la recherche. C’est peut-être ma faute, je voulais que tout soit parfait !

– Vous étiez seul sur ce chemin de croix ?

– Pratiquement, oui, mais l’université m’a aidé. Elle a demandé à Aimee Cranshaw, spécialisée dans l’organisation d’événements, de me seconder. C’était pratique, car elle connaissait tous les trucs !

– Que va-t-il sortir de ce congrès ?

– Vous savez, je m’intéresse à beaucoup de choses différentes. Du coup, je connais plein de gens qui ne se rencontrent jamais. Je voulais juste qu’ils se voient et interagissent. Qui sait, il y aura peut-être une idée de recherche, un nouveau modèle, une proposition d’observation, voire un nouvel instrument qui naîtra de ce symposium. J’aimerais beaucoup voir un remerciement à l’IAUS329 dans un futur article de recherche !

– Que préférez-vous en Nouvelle-Zélande ?

– Beaucoup de choses. La nourriture, le café, le vin… et les étudiants, très dynamiques. Plus le fait de pouvoir soutenir les All Blacks ! Sans oublier qu’il y a des astronomes amateurs incroyables ici : j’en connais qui mesurent des effets de microlentilles, et un autre, fermier, qui passe des vaches en journée à la recherche de supernova la nuit ! Et puis, c’est le bon moment ici : le département d’astronomie grandit, et c’est super de participer à ce big bang ! »

 

À noter : J.J. se définit comme agenré, ou genre-fluide. Sensible à l’égalité et aux problèmes associés, il a proposé un « code de conduite » pour cette conférence afin que la proportion homme-femme dans les comités ou parmi les présentateurs soit de 50-50, un record. Merci J.J. !

 

Découvrez les autres billets de Yaël Nazé sur le congrès d'Auckland, consacré aux étoiles massives.

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