Un congrès d'astronomie raconté de l'intérieur (épisode 1)

L’astrophysicienne Yaël Nazé. © Hubble Legacy Archive/Nasa/ESA/DR
Le congrès scientifique : un grand classique dans la vie du chercheur ! L’astrophysicienne Yaël Nazé, de l’université de Liège, nous dévoile les coulisses de l'un de ces rendez-vous professionnels, qui se tiendra à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Rendez-vous à partir du 28 novembre, sur le site de Ciel & Espace.

Un congrès, ça se prépare !

En tant que chercheuse, je me dois de participer de temps à autre à un congrès. Eh oui ! cela fait partie du boulot, et à toute étape de la carrière. Et pas seulement pour se tenir au courant des découvertes dans son domaine ou des « tendances » en cours (la recherche ressemble parfois à la mode…). Ainsi, quand j’étais doctorante, cela me permettait de rencontrer des chercheurs en dehors de mon institut, avec parfois collaboration à la clé : c’est à un congrès au Canada que j’ai rencontré le Pr Chu, chez qui je suis ensuite partie pendant des mois.

Plus tard, une fois le diplôme en poche, le congrès est un moyen de se faire connaître et d’actionner son réseau… en espérant trouver un job ou obtenir une bonne lettre de recommandation ! Le must, alors, c’est d’être invité à donner un exposé récapitulatif. Cela fiche le trac, je l’ai vérifié, mais c’est utile pour le CV.

Retrouvailles et réseautage

Enfin, quand on a un poste a priori permanent, comme c’est mon cas, on mélange pêle-mêle les retrouvailles avec de vieux amis (ou ennemis), le réseautage et la mise en route de collaborations, sans oublier… les marchandages (« J’ai un étudiant, là, super-bon, tu le prendrais en postdoc ? »). Bref, il ne faut pas espérer y couper… Encore faut-il bien choisir.

Chaque année, c’est donc pareil, il faut vérifier l’agenda. Les sites web dédiés annoncent-ils quelque chose ? Y a-t-il une rumeur qui court parmi les collègues, ou une annonce qui circule déjà dans des cercles spécifiques (commissions ou divisions de l’Union astronomique internationale) ?

Typiquement, pour un domaine de recherche donné, il y a au moins un congrès par an, mais tous ne sont pas de même nature ni de même importance. Ces rendez-vous peuvent être très ciblés (50 à 100 personnes, par ex. sur la granularité des vents stellaires d’étoiles massives évoluées), de taille moyenne (100 à 300 personnes, comme nous en organisons parfois à Liège) ou grande (300 à 1000 personnes) sur un sujet plus large, tel l’émission X des objets célestes…

Sans oublier les grands-messes couvrant presque tous les domaines de la science du ciel, comme les réunions annuelles de la Société astronomique américaine (AAS) ou les assemblées générales de l’Union astronomique internationale (UAI), tous les trois ans. Chacun offre des avantages différents : visibilité importante (mais quasi impossible à obtenir) si on parle dans un congrès mammouth ; utilité accrue, mais visibilité faible pour un atelier ciblé.

Les négociations commencent : qui y va ?

Une fois les congrès possibles repérés, nous devons discuter — oserait-on dire négocier ? En effet, faire participer tout le monde à tout est impossible. Au-delà de la répétition systématique qui serait mal accueillie et donc dommageable à terme (« Quoi, encore celui-là ? Et encore avec cette recherche-là ? Mais il travaille quand ? »), il y a un problème éminemment pratique : les finances. Envoyer deux, voire trois personnes à un congrès lointain est un exploit pour un groupe tel que le mien, comprenant une dizaine de personnes.

Cela dit, l’IAUS329 a été vite repéré : son sujet, « Vie et agonie des étoiles massives », tombe pile dans nos compétences. D’ailleurs, il s’agit « du » meeting de la communauté « Étoiles massives », qui en compte un tous les 2 à 5 ans. Il serait inimaginable qu’aucun de nous n’y assiste (les chercheurs sont comme les chiens, ils doivent marquer leur territoire — d’une façon moins odorante, heureusement). En plus, il s’agit d’un symposium de l’UAI (d’où le nom IAUS), un genre plutôt prestigieux. Un congrès inévitable, donc, mais… en Nouvelle-Zélande.

Auckland, terre lointaine…

Ah, je vous vois déjà sourire : Soleil et cocotiers envahissent votre esprit… Mais non, la première chose qui nous vient à l’esprit, c’est surtout : « de l’autre côté du globe = cher ». Donc, qui y va ? Pas de panique, on n’a pas réglé ça à l’épée. Finalement, il y a peu de candidats : quatre en tout. Impossible de payer pour tout le monde, mais bon, assez pour tenter la seconde étape.

Environ huit mois avant le congrès paraît une annonce plus complète : on connaît déjà les conférenciers invités (personne de chez nous ne fait partie du lot, caramba encore raté !) et l’appel à communications s’ouvre. Là, deuxième bilan pour les quatre « volontaires », pas financier cette fois, mais bien scientifique : quelle recherche pourrais-je alors présenter ?

Évitons de choisir quelque chose que l’on vient de terminer — ça sentira le faisandé au moment du congrès —, ni un travail que l’on commence à peine — le risque de ne pas être prêt, voire de se faire doubler est réel. Problème : la recherche n’est pas un long fleuve tranquille… Impossible de savoir avec précision quand les choses seront prêtes, l’imprévisible est notre quotidien.

Autre choix cornélien : exposé ou poster ?

Il faut donc miser sur des projets quasi finalisés, ou ayant de bonnes chances de l’être peu après le congrès. Il faut aussi choisir un thème qui intéressera le plus de collègues. Bon, je sélectionne une petite dizaine de sujets, et passe au second choix cornélien : exposé ou poster ? Un exposé, c’est mieux, on est plus visible, mais bon, il faut quelque chose d’intérêt général. Un poster peut être plus ciblé et on peut en mettre plusieurs, mais c’est moins prestigieux [poster = présentation scientifique en panneau, NDLR ; voir liste de ceux de l’IAUS329].

En parallèle, mes trois collègues font le même travail, et trois mois plus tard, les résultats tombent : aucun exposé retenu dans les propositions liégeoises, et un poster par personne maximum. Vu la situation, et quelques nouvelles impromptues entre-temps (une naissance aux alentours de la date du congrès !), nous ne sommes plus que deux dans la course.

Dernière étape : l'argent !

Il est temps de passer à la recherche de financements. Cela implique de réserver hôtel et avion, de payer le droit d’inscription (370 € quand même), de mentionner ce que vous allez présenter, de souligner l’intérêt du congrès (non, ce n’est pas des vacances !) et de collecter les lettres officielles précisant que votre contribution est acceptée. Et de faire signer le tout par mon patron, qui ajoute une phrase sur le grand intérêt de participer à la grand-messe “Étoiles massives”.

J’envoie le tout en plusieurs exemplaires et je croise les doigts… Le milieu de l’année n’est pas le bon moment : une bonne partie des budgets ont été distribués. Et puis il y a des restrictions ; par exemple, le Fonds de la recherche scientifique ne finance qu’un chercheur d’une université donnée par congrès, et ce, une fois tous les deux ans au mieux pour la personne en question.

Deux mois plus tard, après quelques relances, voilà : un coup dans l’eau, deux coups réussis (en partie). Vérification des budgets du groupe, et enfin, c’est sûr, je pars en Nouvelle-Zélande, et mon collègue Éric aussi.

Qu'est-ce que j’ai proposé  ?

J’aurai un poster sur la recherche d’étoiles magnétiques massives dans les Nuages de Magellan (Spoiler Alert : on a de supers candidats, mais pas de confirmation directe encore malgré nos dernières observations, et en plus on vient de leur détecter des comportements bizarres) et un autre sur l’analyse des rayons X provenant du vent stellaire de l’étoile HD191612, vent qui est confiné à l’équateur par un champ magnétique très fort, chose inhabituelle pour les étoiles massives.

Cerise sur le gâteau : la présidence d’une session (un rôle de modérateur des débats) et la participation à un « splinter meeting » (congrès parallèle) organisé le mardi soir, avec une contribution sur l’émission en rayons X des collisions entre vents stellaires dans les binaires massives – 10 minutes d’exposé, max !

 

Découvrez les autres billets de Yaël Nazé sur le congrès d'Auckland, consacré aux étoiles massives.

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