Qu’obtiendriez-vous en posant 120 heures avec le plus grand télescope spatial du monde ? Le 27 mai 2025, la Nasa et l’ESA ont répondu par l’image. L’auteur de ce cliché extragalactique n’est autre que le télescope James Webb, dont le diamètre du miroir principal vaut 6,5 mètres. Sensibles aux lueurs infrarouges des astres, l’instrument a ici visé l’amas de galaxies Abell S1063, niché dans la constellation australe de la grue. « Ce sont les observations les plus profondes [au plus long temps de pose, ndlr] jamais faites avec le Webb sur un seul champ » commente Johan Richard, membre de la collaboration GLIMPSE, qui a obtenu que le JWST soit pointé dans cette direction.
Ciel & espace n°601, nouvelle formule !
Disponible sur notre boutique web et en kiosque (où le trouver ?)
Sur cette image record, toutes les galaxies de couleur blanche appartiennent à l’amas Abell S1063. Elles sont liées entre elles par la gravitation et se situent au premier plan, toutes à la même distance de la Terre située à quelque 5 milliards d’années-lumière. La plus grosse et la plus brillante de ces galaxies siège au centre de l’image. Son apparence laiteuse est le fruit des milliards d’étoiles qui y résident, sans qu’on puisse les résoudre individuellement. « Elle est en fait au centre du potentiel gravitationnel de l’amas de galaxies » complète l’astronome travaillant au Centre de recherche astrophysique de Lyon (CRAL).

© ESA/Webb, NASA & CSA, H. Atek, M. Zamani (ESA/Webb)
Lentille gravitationnelle
Eu égard à la masse colossale d’Abell S1063, la déformation de l’espace-temps qu’il engendre dans son voisinage est manifeste – à l’instar d’une boule de bowling qui déformerait le moelleux d’un matelas sur laquelle on l’aurait posée. Cette distorsion produit un phénomène de lentille, ou loupe gravitationnelle, comme le JWST en a déjà immortalisé. En témoignent les dizaines d’autres galaxies, représentées de couleur orangée pour être situées encore plus loin dans l’Univers. Semblant tourner autour du centre de l’image, celles-ci sont en réalité situées bien au-delà, à l’arrière-plan de l’amas de galaxies. Pour avoir été tordus par la lentille gravitationnelle traversée sur leur chemin, les rayons lumineux qui en sont issus donnent à voir des galaxies déformées et aplaties, en plus d’être très nombreuses. « C’est tellement dense qu’on a beaucoup de mal à bien séparer toutes les galaxies de l’amas, les galaxies distantes et les amas d’étoiles dans Abell S1063 et dans les galaxies distantes. C’est vraiment une observation fascinante » se réjouit Johan Richard.

Par Hubble et Biden
Il y a plus de huit ans, le télescope spatial Hubble avait lui aussi photographié Abell S1063, sans déceler de galaxies aussi lointaines que le permet la vision infrarouge du JWST. Pour sa première image, dévoilée en juillet 2022 par Joe Biden, le Webb avait visé une scène similaire, dans l’amas de galaxies SMACS J0723. Les 12 heures et 30 minutes de temps de pose requis pour cette dernière constituaient alors un record d’exposition dans l’infrarouge.