« Comment pourrions-nous avoir confiance dans les projections sur l’évolution du niveau des mers sans comprendre pleinement quels facteurs dictent les changements que nous avons vus dans le passé ? » Pour Thomas Frederikse, du Jet Propulsion Laboratory, à Pasadena, en Californie, cette question justifiait pleinement l’étude qu’il a menée, avec une équipe internationale, et qu’il a publiée dans la revue Nature le 19 août 2020. Car jusqu’ici, les scientifiques avaient un problème avec l’évolution du niveau des mers : l’élévation progressive mesurée depuis 1900 et jusqu’aux années 1970 restait supérieure à celle calculée. L’équipe de Thomas Frederikse a donc étudié minutieusement les données très précises récoltées par les satellites depuis 1992 pour prendre en compte tous les phénomènes qui contribuent à une modification du niveau des mers. Principalement, il s’agit de la fonte des glaciers continentaux, de la fonte de la banquise arctique, de la répartition des masses d’eau mais aussi l’expansion thermique de l’océan (plus une eau se réchauffe, plus elle prend de volume).
Des mesures très précises par satellites
Grâce aux mesures des satellites Topeix-Poseidon (de la Nasa, en collaboration avec le CNES), GRACE et GRACE-FO, l’équipe a bien identifié et quantifié précisément les différentes sources de montée des eaux depuis 1992. En tenant compte de certains phénomènes tels que les mouvements régionaux de montée et d’abaissement de la croûte terrestre, les scientifiques ont pu extrapoler les évolutions antérieures dont les seules mesures provenaient des marégraphes disposés un peu partout sur la planète. Or, justement, depuis le début du XXe siècle, ces observations montraient systématiquement un niveau plus élevé que ce qu’il aurait dû être. La faute à une connaissance imparfaite des différents mécanismes à l’œuvre.
La calotte du Groënland, poids lourd dans la montée des eaux
L’équipe de Thomas Frederikse a ainsi découvert que l’augmentation du niveau des mers constatée avant 1940 tenait essentiellement à la fonte de la calotte glaciaire du Groenland. Elle note également que la fonte des glaciers de montagne a été sous-estimée. Et qu’enfin, la pause visible dans la montée du niveau des mers autour des années 1970 provenait des programmes massifs de constructions de barrages sur les fleuves. « Cela a été l’une des plus grandes surprises pour moi, indique Thomas Frederikse, dans un communiqué de presse de la Nasa. Nous avons retenu tellement d’eau douce que l’humanité a presque réduit la hausse du niveau jusqu’à l’arrêter. » La suite est tout aussi peu encourageante : depuis les années 1990, les fontes du Groenland (dont l’évolution ces cinq dernières années est inquiétante) et de l’Antarctique se sont accélérées, emportant avec elles le niveau des mers.
Les scientifiques affirment connaître plus précisément les facteurs qui influencent actuellement le niveau des mers. La fonte des calottes glaciaires et l’expansion thermique océanique contribuent pour les deux tiers à la montée des eaux. La fonte des glaciers de montagne pèse à hauteur de 20%. Les 10% restants reviennent à la diminution des quantités d’eau douce stockées. Tous ces facteurs sont directement liés au réchauffement climatique.
Ils rappellent que les mers sont montées de 1,6 millimètre par an en moyenne entre 1900 et 2018 (soit, en tout, 18,88 cm). Mais aussi que le phénomène s’est emballé à un niveau record au cours du XXe siècle. Leur étude réconcilie les mesures avec les modèles et permet de conclure qu’aucun autre processus n’est requis pour expliquer les évolutions constatées.
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