Les bactéries controversées du lac Vostok

Après 24 ans d’efforts, les Russes sont parvenus à atteindre le lac subglaciaire Vostok, à 3800 m de profondeur. Crédit : DR.

Début mars, le chercheur russe Sergei Bulat a annoncé une probable découverte de bactéries dans le lac Vostok situé à 3,8 km sous les glaces de l'Antarctique.

Ce milieu captive les exobiologistes car il rappelle l'océan situé sous les glaces du satellite Europe, autour de la planète Jupiter.

Une découverte dans la controverse


"Est-ce qu'il s'agit d'une recherche sérieuse ? Oui. Est-ce que cette découverte est crédible ? Pourquoi pas", résume Jean-Robert Petit, directeur de recherche émérite à l'université Joseph Fourier de Grenoble.

Pourtant quelques jours seulement après cette annonce, Vladimir Korolyev, directeur de l'Institut de physique nucléaire de Saint-Pétersbourg, a annoncé à l'agence de presse Interfax : « Nous avons trouvé seulement quelques spécimens, mais il s'agit seulement de contaminations. Nous ne pouvons donc pas dire qu'une nouvelle forme de vie a été annoncée. » Qui croire ?

Une mauvaise communication interne ?

Alerté par ce démenti, Jean-Robert Petit est allé à la source : « J’ai interrogé Sergei Bulat à ce sujet. A priori, il y a eu un beau couac de communication! M. Korolyev, le directeur de l'Institut où travaille Bulat, n'est pas impliqué dans les recherches sur Vostok (il travaille sur les levures). Il n'a pas été mis au courant des dernières analyses de Bulat. »

Pour éliminer toute possibilité de confusion avec une contamination, Sergei Bulat a établi une bibliothèque exhaustive des contaminants contenus dans le kérosène utilisé pour maintenir le trou de forage ouvert. Ce travail sérieux lui a demandé des années d'efforts.

Ci-dessous une coupe schématique du forage. Crédit : DR.

Une découverte à confirmer


"La similitude de l'ADN trouvé par Bulat est que de 86% avec la plus proche inventoriées. Quand on compare les signatures ADN pour identifier les bactéries, on les considère différentes si leur coefficient de similitude est inférieure a 98%. Avec 86%, pour Bulat c'est un autre domaine d'assemblage d'ADN, un autre monde en quelque sorte. Il a trouvé de l'ADN bactérien, qui n'est pas répertorié dans la banque de gènes. Donc, ce n'est pas de la contamination primaire et cette signature surprend. J'accorderais une certaine confiance à Bulat, qui a la réputation de ne rien laisser au hasard », insiste Jean-Robert Petit.

« Mais relativisons la portée de la découverte : 90% des bactéries qui nous entourent ne sont pas connues car on ne sait pas les mettre en culture. Du coup, on ne sait rien de leur physiologie », nuance-t-il.

Sergey Bulat indique que d'autres prélèvements seront nécessaires courant 2013 pour confirmer ou infirmer sa découverte. « Ces nouveaux échantillons permettront notamment de mesurer la quantité d'oxygène dans l'eau. Si ce taux est trop élevé, il est incompatible avec le développement d'une vie bactérienne car, dans ce cas, elles sont oxydées », explique Jean-Robert Petit.

Une compétition internationale

Pour confirmer la possibilité d'une vie sous la glace de l'Antarctique, il faudra compter aussi sur les Américains et les Britanniques. Ces derniers ont échoué de peu en décembre dans leur tentative d'atteindre le lac Ellsworth (3100 m de profondeur). Ce n'est que partie remise.

En revanche, les Américains ont atteint le lac Whillans (700 m) et pensent, eux aussi, avoir trouvé des bactéries ! Cette annonce récente est préliminaire, ils doivent encore analyser l'ADN en laboratoire. L'objectif principal de leur forage est l'exobiologie, et non la glaciologie.

Plutôt que d'utiliser du kérosène pour maintenir le trou ouvert, leur système fonctionne à l'eau chaude afin éviter tout risque de contamination. En revanche, les bactéries qu'ils auraient trouvées proviennent des sédiments. Or, avec la chaleur interne du sol, les chercheurs ont déjà identifié des sources d'énergie possibles pour nourrir des bactéries situées au fond de ces lacs.

Pour celles trouvées sous la glace, c'est plus compliqué car ce milieu était supposé stérile. « En surface à Vostok, on n'a pas pu mettre en évidence de bactéries », souligne Jean-Robert Petit.

L'eldorado de l'exobiologie

Le lac Vostok est isolé de la surface depuis 15 à 20 millions d'années. Il a été atteint par forage le 5 février 2012, après 24 ans d'efforts ! "Si cette découverte se confirme, elle relance la recherche de la vie ailleurs. Pour comprendre ce que l'on pourrait trouver, sous les glaces du satellite Europe, il faut déjà comprendre ce qui existe sur Terre", conclut Jean-Robert Petit.

Ci-dessous : une photo de la surface du satellite Europe prise par la sonde Galileo. La présence d'un océan liquide sous la surface ne fait plus de doute pour les scientifiques. ©Nasa/Ciel & Espace.

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