Peu avant Noël, les scientifiques chinois auront peut-être un très beau cadeau dans leur laboratoire : quelques centaines de grammes de roches lunaires fraîchement collectées sur notre satellite naturel par leur sonde Chang’e 5. Du moins, si tout se passe bien. Car cette nouvelle mission Chang’e (le nom de la déesse lunaire de la mythologie chinoise) s’annonce comme la plus ambiteuse et la plus complexe jamais menée par la Chine en direction de la Lune.
Chang’e 5 devrait décoller autour de 19 h, heure française, ce lundi 23 novembre [mise à jour du 23 novembre à 16 h 30 : l'heure du décollage, annoncée par la télévision chinoise, serait 21 h 35, heure française] depuis le centre spatial côtier de Wenchang, grâce à une fusée Longue Marche 5, la plus puissante fusée chinoise, d’ailleurs conçue pour cette mission. La mission constituera la première tentative de collecter des échantillons lunaires depuis la sonde soviétique Luna 24 en 1976. Mais alors que les Russes avaient récolté 170 grammes de roches, la troisième puissance spatiale va suivre une approche plus complexe.

Difficiles manœuvres autour de la Lune
Le vaisseau Chang’e 5 est un assemblage de quatre modules. Un module de service fournit la propulsion vers la Lune et ensuite vers la Terre. Il doit arriver en orbite basse autour de la Lune environ quatre jours après le lancement, le 27 novembre 2020, soit peu après le lever du Soleil au-dessus du site visé, proche des monts Rümker, au nord-ouest de la face visible. Un atterrisseur inspiré de ceux des missions Chang’e 3 et Chang’e 4 apporte une foreuse capable de creuser jusqu’à 2 m de profondeur dans le régolite, et une pelle pour le matériau de surface. Le module est censé collecter environ 2 kg de roches. Il est aussi équipé d’un radar pour discerner la stratigraphie locale dans laquelle différentes couches vont représenter des événements et des périodes d’activité distinctes. Un spectromètre lui permettra des analyses minéralogiques. Enfin, Chang’e 5 dispose d’une caméra panoramique et des caméras sur son bras de collecte.
La récolte doit se dérouler quelques jours après l’alunissage. Une fois celle-ci effectuée, un module de remontée juché sur l’atterrisseur doit décoller et rejoindre l’orbite lunaire. Là, il devra réussir de manière automatique un rendez-vous et un amarrage avec le module de service resté en attente. Une fois cette manœuvre accomplie, les échantillons lunaires seront transférés dans une capsule à bord du module de service. Et le voyage retour pourra commencer.

Un retour sur Terre attendu vers le 15 décembre 2020
Une fois arrivé près de la Terre, le module de service libérera la capsule de retour, qui aura alors la difficile tâche de faire traverser l’atmosphère terrestre à sa précieuse cargaison. La vitesse de la capsule provoquera en effet un fort échauffement autour d’elle, car revenir de la Lune implique une énergie bien supérieure à celle d’un retour de l’orbite terrestre. La Chine avait donc fait un essai en 2014 avec la mission Chang’e 5T, en pratiquant une rentrée atmosphérique après un premier rebond.
L’atterrissage sous parachute devrait avoir lieu en Mongolie intérieure autour du 15 décembre 2020, selon l’ESA qui fournit une station de communication de secours pendant les phases critiques de la mission. Les échantillons scellés seront ensuite transférés dans un laboratoire à Pékin, pour leur analyse et leur stockage.
Un trésor scientifique potentiel
Ces quelques centaines de grammes de roches lunaires devraient être d’une grande valeur scientifique. Chang’e 5 reviendra en effet de la région des monts Rümker, un ensemble de sommets arrondis culminant à 1300 m dans l’océan des Tempêtes (Oceanus Procellarum). Or, à cet endroit, la surface est a priori bien plus jeune – pas plus de 2 milliards d’années – que dans les sites explorés par les missions Apollo américaines et Luna soviétiques.

Les roches basaltiques de cette région renferment des indices de nature à révéler pourquoi l’activité volcanique qui les a modelées a persisté des milliards d’années après le pic de volcanisme de la Lune soit passé. Un autre mystère, soulevé par des observations depuis l’orbite, est l’abondance inhabituelle de certains éléments chimiques dans cette région baptisée Procellarum KREEP terrane. Étudier ces échantillons va permettre de comprendre si ces éléments, tels que le thorium, l’uranium et le potassium, ont joué un rôle dans cet épisode volcanique tardif inexpliqué, et de quelle manière ils l’ont fait.
Les analyses radio-isotopiques vont aussi contribuer à calibrer la chronologie de la Lune et fournir une datation absolue pour cette région, mais également pour le reste du Système solaire. En effet, la densité et la taille des cratères d’impact sont utilisées pour estimer l’âge des surfaces planétaires. Or, la Lune fait office de point de référence pour les autres astres. Combiner ces analyses avec les nouveaux échantillons pourrait aider à accorder finement les âges estimés pour les différentes régions des corps telluriques, tels que Mercure et Mars.
Le prélude à d’autres ambitieuses explorations
Chang’e 5 était programmée comme la troisième et dernière étape du programme lunaire chinois approuvé en 2004. Mais sa technologie servira sur d’autres projets plus ambitieux ou plus lointains. Ainsi, Chang’e 6, le vaisseau de secours pour Chang’e 5, décollera autour de 2023 pour aller collecter des échantillons au pôle Sud de la Lune. Il emportera DORN, un instrument de détection du radon conçu par le Cnes, l’agence spatiale française.
Ensuite, la sonde ZhengHe, baptisée en mémoire d’un célèbre amiral et explorateur chinois, tentera d’arracher des roches à l’astéroïde géocroiseur 2016 HO3 vers le milieu des années 2020 et profitera du trajet retour pour survoler une comète. Plus tard dans la décennie, la Chine tentera un retour d’échantillons martiens. Les manœuvres complexes de Chang’e 5 (atterrissage, collecte de roches, décollage, rendez-vous en orbite lunaire et retour vers la Terre) lui fourniront une expérience inestimable en vue de ce projet sans précédent.
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