Forer sur les autres corps du Système solaire est décidément bien difficile. On se souvient des difficultés rencontrées par les astronautes d’Apollo sur la Lune. Et aussi du succès mitigé de la pelle mécanique de la sonde Phoenix sur Mars. La foreuse d’Insight n’aura, jusque-là, pas eu plus de réussite. Déjà bloquée une première fois le 28 février 2019 après 30 cm de pénétration dans le sol martien, elle avait été remise en fonctionnement le 18 octobre. Aidée par la pelle robot d’Insight, la « taupe », comme l’appellent les spécialistes, s’était de nouveau enfoncée. Mais, le 27 octobre, coup de théâtre : la taupe est soudainement ressortie. Comme si on l’avait vigoureusement repoussée vers le haut. Depuis, elle reste en grande partie à l’air libre, et encore plus inclinée que précédemment, ce qui est une très mauvaise posture.
Un manque de pression atmosphérique
Sur son blog, Tilman Spohn, le responsable de l’expérience, après avoir indiqué que la taupe ne possédait pas de marche arrière (qui n’a donc pas pu être mise en action par erreur), a précisé : « Nous avons vu auparavant le phénomène de retour en arrière, dans le labo à faible pression atmosphérique, comme c’est le cas sur Mars. Souvenez-vous que la pression atmosphérique martienne est seulement de 0,6 % de celle de la Terre. » Or, explique-t-il, si sur Terre l’instrument rebondit, il crée une cavité où la pression, plus faible que celle de la surface, produit un effet d’aspiration qui va contrer sa remontée. Sur Mars, la pression atmosphérique est si faible que cet effet ne joue pas. Il poursuit en précisant que c’est la raison pour laquelle la friction de la coque de la taupe sur le bord de la cavité est importante : sans elle, rien n’empêche l’instrument de rebondir. Et c’est vraisemblablement ce qui s’est passé. Depuis le début, la taupe semblait peu sujette à la friction du sol, et c’est notamment pour augmenter celle-ci artificiellement que les responsables de la mission avaient collé la pelle d’Insight contre son flanc.
Un rebond inattendu
Après quelques coups de marteau, la taupe s’était finalement bien enfoncée. Mais Tilman Spohn précise : « Quand nous avons analysé les images du martelage précédent, nous avons eu une indication que le mouvement vers l’avant de la taupe avait ralenti à la fin de la session. Par conséquent, nous avons joué la sécurité en commandant un nombre plus réduit de coups de marteau que ce qui était prévu et un réajustement de la poussée du bras et de la pelle sur le sol. » Aussi, la remontée subite de la taupe a été une surprise : « Quant à moi, je n’aurais jamais pensé que la taupe ressortirait autant avec quelques dizaines de coups de marteau. »

Une structure du sol peu favorable
Dès le début des opérations, le sol de Mars a présenté des propriétés peu favorables à la progression de la taupe, comme l’explique David Mimoun, de l’ISAE, à Toulouse, coresponsable de la mission Insight : « Quand nous avons retiré la superstructure qui était au-dessus de la taupe [NDLR : après le premier arrêt], nous avons vu un trou qui était de quatre ou cinq fois le diamètre de la taupe. Cela s’explique probablement par l’existence d’une croûte superficielle et d’un sable très meuble en dessous. Le sol ressemble à une crème brûlée ! » La foreuse avait donc perdu sa friction avec le sol qui l’entourait et c’est vraisemblablement ce qu’il l’empêchait de s’y enfoncer davantage. Voilà pourquoi la pelle mécanique avait été appuyée contre l’un des flancs de la taupe : pour créer une pression sur le côté et lui redonner de la friction.

Peu de solutions disponibles
La situation est désormais très délicate car la taupe est sortie sur plus de la moitié de sa longueur. Et elle est encore plus inclinée que précédemment. L’équipe de Tilman Spohn doit avant tout s’assurer qu’elle ne va pas se coucher sur le sol. Puis, éventuellement, écarter la pelle pour examiner la cavité. Tout cela sera lent. Car les responsables de la mission refont sur Terre chaque manœuvre observée grâce à une maquette et ils élaborent ensuite des hypothèses avant de songer à des solutions.
Mais le temps tourne. Car mobiliser les équipes qui manipulent le bras robot d’Insight coûte cher. Il faudra donc tenter quelque chose en acceptant un compromis entre le coût, le risque et le bénéfice escompté. En donnant de nouveaux coups de marteau ? Cela risque de faire tomber la taupe sur le flanc… En la poussant avec la pelle ? Cela n’a jusque-là jamais été envisagé car, sur la partie supérieure de la taupe, arrive le câble d’alimentation électrique qui est fragile. Le casser n’arrangerait rien… Enfin, a priori, il est impossible de déplacer la taupe, même en utilisant le bras robot, pour tenter de l’installer à un autre endroit. Pour l’heure, Tilman Spohn se borne à dire : « Donnez-nous du temps pour réfléchir ! »