Freeman Dyson a cessé de briller

Portrait de Freeman Dyson en 2005. Credit: DR
Physicien et mathématicien hors-norme, Freeman Dyson s’est éteint le 28 février 2020, à l’âge de 96 ans. Entre physique nucléaire et exploration spatiale, il était l’une des grandes figures de la science du XXe siècle.

Il avait fait du prestigieux Institute for Advanced Study (IAS) de Princeton sa maison académique. Comme les Einstein, Gödel et autres physiciens géniaux en leur temps. Invité au laboratoire pour la première fois en 1948 par un certain Robert Oppenheimer, alors directeur des lieux, Freeman Dyson y possédait encore un bureau plus de soixante-dix ans plus tard. Le jour de son dernier souffle.

Établi de façon permanente en 1956, après plusieurs allers-retours avec l’Université Cornell, c’est entre ces murs que Dyson poursuit de nombreux travaux de physique nucléaire. Ce faisant, il joint son effort à l’une des grandes problématiques de son temps : maîtriser l’énergie nucléaire. Ses travaux déboucheront entre autres sur la fabrication d’un réacteur baptisé TRIGA. Encore fabriqué de nos jours, l’appareil équipe de nombreux hôpitaux.

Vers les étoiles grâce à l'atome

En 1958, pour une durée de quinze mois, Dyson migre en Californie pour prendre part au projet Orion. L’objectif est un peu fou : il s’agit de concevoir un immense vaisseau spatial transportant 200 scientifiques et ingénieurs, capable de « surfer » sur les ondes de choc produites par des détonations. Celles de bombes nucléaires larguées à l’arrière de l’engin… L’objectif, écrit-il alors dans son Manifeste du voyageur dans l’espace, est que « les bombes qui ont tué et blessé des hommes à Hiroshima et à Nagasaki ouvrent un jour les portes du ciel à l’humanité ». Ce type de propulsion doit permettre de rallier Mars en à peine quinze jours.

A la fin des années 50, le projet Orion allait imaginer atteindre Mars en 1965 et Saturne en 1970. © DR

Résolument pacifiste, le physicien est élu en 1960 à la Fédération des scientifiques américains, qu’il préside deux ans plus tard. Un poste depuis lequel il contribue à créer l’Agence de contrôle des armes et de désarmement (ACDA : Arms Control and Disarmament Agency). Par la suite, il milite pour la ratification du traité de 1963, qui interdit les tests nucléaires dans les océans, l’atmosphère ou l’espace. Les essais doivent avoir lieu sous terre. Il reniera ainsi Orion à la fin des années 1970 : « Bien des choses acceptables en 1958 ne le sont plus aujourd’hui. Mes propres critères ont changé aussi. »

La sphère de Dyson

En 1960 dans la revue Science, il imagine que toute civilisation technologiquement avancée doit construire tôt ou tard une gigantesque sphère autour de son soleil. Employant tout le matériau des planètes et astéroïdes inhabités, l’immense structure serait hermétique afin de collecter toute l’énergie dégagée par l’étoile. Abritées dans leur sphère de Dyson, les civilisations extraterrestres ne seraient dès lors plus détectables en lumière visible. Dyson invitait ainsi à sonder notre galaxie à la recherche de lumière infrarouge causée par la chaleur qu’émettrait telle structure (retrouvez notre article sur la solidité de cette idée folle dans le Ciel & espace n° 542). Largement repris en science-fiction, c’est vraisemblablement pour ce concept que le physicien est aujourd’hui le plus connu.

Vue d'artiste d'une sphère de Dyson en cours de construction. © DR

"Il est beaucoup plus amusant d'être contredit qu'ignoré"

Mais Freeman Dyson était surtout un éminent scientifique. Il reçoit de son vivant de nombreux prix parmi lesquels la médaille Wolf de physique en 1981. Il n’obtiendra jamais le prix Nobel, mais a probablement permis aux physiciens Richard Feynman et Julian Schwinger de décrocher le leur en 1965. Dix-huit ans plus tôt, c’est Dyson qui permet d’unifier les inconciliables théories des deux physiciens tentant de décrire le fonctionnement interne de l’atome. Un problème d’électrodynamique quantique pour lequel il raconte avoir connu un déclic soudain dans le Nebraska, alors qu’il voyageait seul en bus vers Princeton depuis plus de 48 h… Brillant mathématicien, il aura également donné son nom à d’autres outils théoriques tels que les séries de Dyson et la transformée de Dyson.

Excellent orateur qualifié de « penseur libre » par ses pairs, ses idées pour le moins novatrices forçaient toujours à réfléchir. « Il est beaucoup plus amusant d’être contredit qu’ignoré », disait-il.

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