Le 23 novembre 2020, une grosse tache sombre apparaissait sur le bord du Soleil. Les équipes du National Solar Observatory (NSO) l’attendaient. Une semaine auparavant, ils avaient prévu son existence avec une grande précision, alors qu’elle se trouvait encore sur la face cachée de notre étoile. Située dans la « région active 12786 », cette tache de près de 50 000 km de large, soit quatre fois le diamètre de la Terre, a donc été décelée avant que la rotation du Soleil ne nous la rende visible. Trente ans de travaux menés par le NSO ont permis de perfectionner cette science de l’anticipation des taches solaires.
Le 23 novembre la région active 12786 apparaît au bord occidental du Soleil. © Nasa/SDO

Observer le Soleil pour protéger la Terre
Il existe un enjeu réel à comprendre et prévoir l’apparition des taches solaires. Éruptions et tempêtes se déchaînent au cœur de ces régions actives. Les flots de particules qu’elles libèrent dans l’espace peuvent engendrer de sévères perturbations sur Terre : coupures de courant, perte de signaux GPS, dérèglement des satellites… Comme l’explique la chercheuse du NSO Kiran Jain, qui a découvert la région active 12786 : « Il est nécessaire d’observer le Soleil pour en prédire l’évolution. De grosses éruptions solaires peuvent endommager nos infrastructures et avoir de graves conséquences, comme lors de l’ouragan Irma. » En 2017, alors que l’ouragan sévit sur la Floride, une éruption solaire perturbe les réseaux de communication et retarde l’intervention des secouristes. Prévoir l’apparition des taches solaires, qui sont associées à des zones actives susceptibles de produire de telles éruptions, contribue donc à la fiabilité des « bulletins » de météo spatiale.
Des vagues à la surface du Soleil
Mais comment savoir ce qu’il se passe de l’autre côté du Soleil, sur sa « face cachée » ? Grâce à l’héliosismologie. C’est en 1960 que Robert Leigh découvre les premières oscillations de fréquences provenant du Soleil. Notre étoile est une « cavité résonnante » pulsant des ondes acoustiques à hauteur de 0,24 battement par minute, ou 4,5 mHz maximum. Ces fréquences se dispersent à sa surface comme les vaguelettes provoquées par un ricochet sur l’eau.
Ce n’est que trente ans plus tard, en 1990, que les chercheurs du NSO créent l’héliosismologie. Ce domaine s’inspire grandement de la sismologie terrestre, qui étudie les flux d’ondes acoustiques provenant des mouvements des différentes couches de la planète. « La différence avec la sismologie terrestre est que nous faisons tout à distance, là où les sismologues écoutent la Terre directement depuis la surface », ajoute Kiran Jain, qui compare les fréquences acoustiques du Soleil à la résonance du son provenant d’une cloche.


Les fréquences acoustiques du Soleil sont recueillies par le Global Oscillation Network Group (Gong), un réseau de six télescopes équipés de moniteurs supervisés par le NSO. Avec une observation continue de notre étoile, le Gong détecte la moindre fluctuation d’ondes acoustiques depuis 1995. Chaque télescope a la possibilité de produire un magnétogramme permettant de réaliser une cartographie du champ magnétique solaire.
Les ondes ne sont pas toutes uniformes, et certaines sont perturbées par les variations de l’activité du champ magnétique advenant au cœur de l’étoile. Lorsque le magnétisme devient trop dense dans une zone, les ondes sonores sont étouffées par effet de rétention.

Les données captées par le réseau Gong sont traitées par les équipes du NISP (NSO Integrated Synoptic Program) à Boulder, dans le Colorado. Les scientifiques sont chargés de calculer la vitesse radiale de l’onde sur un point précis. En remontant son parcours, il est alors possible de déterminer si une fluctuation a eu lieu et à quel moment. En menant des analyses plus poussées, les chercheurs peuvent pointer précisément le lieu d’apparition d’une région active, sur la face cachée du Soleil.
Une veille internationale
Les équipes du NSO travaillent conjointement avec la Nasa ou encore la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) afin de dresser une météo spatiale. Grâce à cette coopération, des solutions sont mises en place afin de pallier les risques liés à l’activité solaire. L’utilisation de matériaux résistants aux interférences magnétiques s’est répandue ces dernières années. Au sol, le traitement des données du Gong permet un renforcement des réseaux de communication en cas de catastrophe naturelle.
Le satellite Solar Dynamics Observatory (SDO), lancé en 2010 par la Nasa, vient renforcer cette collecte de données. Son instrument HMI (Helioseismic and Magnetic Imager) permet une analyse poussée du magnétisme de la photosphère et de la couronne solaire. Sa mission devait se terminer en 2020, mais il est pour l’heure toujours maintenu en activité par l’agence spatiale américaine. D’autres instruments devraient compléter l’étude du Soleil. Lancée en février 2020, la sonde européenne Solar Orbiter doit collecter des données plus précises de l’héliosphère d’ici 2023.
Sur Terre, les yeux sont rivés sur l’astre alors que débute le 25e cycle solaire, d’une durée moyenne de 11 ans. Son activité magnétique devrait croître, jusqu’à un pic annoncé en 2025.