À Ciel & Espace, #JeFaisUnJournalChezMoi

Crédit : Jean-Luc Davergne
Depuis le 17 mars, confinement oblige, l’Association française d’astronomie a vidé ses locaux habituels du parc Montsouris, à Paris, qui sont aussi ceux de la rédaction de Ciel & Espace. Depuis, le travail se poursuit, à distance. Récit éclaté d’une situation sans précédent.

Le vide, la rédaction de Ciel & Espace a l’habitude de s’en préoccuper. Que ce soit pour interroger sa nature (le vide a-t-il une énergie ?) ou pour en questionner l’avenir (est-il en expansion accélérée, emportant avec lui tout l’Univers ?). Mais elle n’a guère l’habitude d’en subir directement les conséquences. C’est pourtant le cas depuis le 17 mars 2020 à midi. À cet instant, le vide a fait irruption dans les locaux du magazine et a dispersé tous ceux qui gravitaient au plus près du centre de masse de ce média astronomique. Comme si l’étoile centrale d’un système planétaire avait subitement cessé d’exister. Et la dispersion des « planètes » dans l’espace a été spectaculaire : habituellement concentrés à Paris, les rédacteurs se sont retrouvés ventilés de la capitale jusqu’à Nice, en passant par la Normandie et la Bretagne.

La salle de rédaction de Ciel & Espace, désertée en une matinée, donne sur les pelouses non tondues du parc Montsouris, à Paris (sur la Terre, la Terre qui est un astre...). © Jean-Luc Dauvergne

La petite maison dans le parc Montsouris, à Paris, habituellement le lieu d’une agitation permanente, est donc subitement devenue un système de très faible énergie, où plus rien ne bouge, ou presque. Notre journaliste Jean-Luc Dauvergne, qui habite à proximité et passe de temps en temps, en témoigne : « Au journal, le seul signe d’activité est la boîte aux lettres qui se remplit au ralenti. Dans le parc, fermé au public, les canards ont repris leurs droits sur des pelouses hirsutes. Les allées sont jonchées de branches d’arbres ; un seul jardinier vient encore pour l’entretien et il ne suffit pas à tout maintenir. »

Dans le parc Montsouris désert, les canards et les cygnes sont devenus les maîtres des lieux, en toute quiétude. https://www.cieletespace.fr/abonnement Jean-Luc Dauvergne

Si la rédaction de Ciel & Espace est le lieu physique essentiel d’échange et de coordination entre les différentes personnes chargées de faire le magazine, sur le plan purement technique, produire à distance ne pose pas de problème insurmontable. Chaque rédacteur dispose d’un portable et, ponctuellement, a déjà pratiqué le télétravail. Il en va autrement pour « la maquette » — les personnes chargées de mettre en page le journal. Le 17 mars au matin, chacun est donc venu récupérer son ordinateur et son écran calibré pour les emporter à domicile. Entre-temps, les responsables informatiques ont assuré l’accès à distance aux serveurs utilisés habituellement.

Ensuite, chacun a installé son poste de travail chez lui.

Olivier Hodasava, directeur artistique, a pris ses quartiers dans son salon : « Tous les matins, je “descends” le bureau (mes deux écrans, le clavier) du 2e étage où il est entreposé jusqu’au salon où j’ai établi mon lieu de travail pour rester à proximité de mes deux fils car il s’agit, constamment, de les motiver pour que les tâches scolaires avancent. Je n’ai jamais écouté aussi peu de musique. Au journal, dans le bureau de la maquette, il y en avait non-stop. Ici, pour que les garçons puissent rester concentrés, c’est impensable. »

Espace de travail « confiné » dans le salon pour le directeur artistique de Ciel & Espace. © Olivier Hodasava
La maquettiste Florence Can a transporté son écran calibré et son ordinateur à domicile. © Florence Can

Avant d’arriver en maquette pour leur mise en page, les textes passent entre les mains de la secrétaire de rédaction, Emmanuelle Lancel. Interface entre le rédacteur en chef, les rédacteurs et la maquette, elle se trouve en principe en contact simultané avec plusieurs interlocuteurs. Cela ne change pas à distance, mais ce n’est plus tout à fait pareil : « Faire un journal est un sport d’équipe. L’isolement complique un peu les choses, mais ne les rend pas impossibles. Les moyens sont réduits, on s’adapte. Même confiné chacun chez soi, l’énergie collective se met en place. Tout le monde s’active avec le même objectif : sortir le prochain numéro à l’heure prévue pour que nos abonnés le reçoivent comme d’habitude dans leur boîte aux lettres, que nos lecteurs le retrouvent chez les marchands de journaux dont beaucoup restent ouverts. »

Un peu de verdure ne nuit pas ! © Emmanuelle Lancel

Du côté des rédacteurs, a priori, le confinement ne constitue pas un obstacle à la poursuite du travail. Sauf que tout dépend de l’environnement ! Surtout, on n’est pas forcément confiné tout seul. C’est le cas de Jean-Luc Dauvergne, notre spécialiste “observation” : « L’ennui ne nous guette pas avec une petite fille de 2 ans. C’est plutôt le contraire, comme beaucoup de parents : l’enjeu est de dégager assez de temps pour travailler. Pour le reste, je ne suis pas à plaindre avec mon télescope sur le balcon. Le beau temps s’est fait attendre, mais il est enfin là ! »

Pour un journaliste notamment chargé des tests de matériel et des rubriques d’observation du ciel, le bureau à la maison se déplace volontiers sur le balcon, télescope en position. © Jean-Luc Dauvergne

Avec le retour du ciel stable, les observations vont bon train. Notamment les tests de matériel en vue d’une publication prochaine dans le magazine et sur le site de Ciel & Espace. Mais difficile de réaliser tous ces tests en télétravail. Un soir, Jean-Luc a pu emporter l’eVscope d’Unistellar sur le terrain, à une centaine de kilomètres de Paris.

Déplacement nocturne et légal pour « exercice d’activité ne pouvant être organisée sous forme de télétravail », en l’occurrence, un test de télescope à paraître prochainement. Crédit : Jean-Luc Dauvergne

Si les journalistes peuvent se déplacer pour raison professionnelle en période de confinement, les opportunités de reportage se sont cependant réduites pour Ciel & Espace. Observatoires et laboratoires sont en grande partie fermés. Les congrès scientifiques sont reportés… Ce qui peut créer une certaine frustration chez des journalistes dont le contact humain est au cœur du métier ! Témoin, Émilie Martin, en banlieue parisienne : « Travailler de la maison n’est pas un problème, mais pour un journaliste, le terrain manque très vite ! Je n’en peux plus du téléphone et de Skype ; je veux aller voir les gens, frapper aux portes des labos, aller dans les observatoires… »

Déjà en télétravail une partie du temps, Emilie Martin avait un espace aménagé pour rédiger des articles à domicile. © Emilie Martrn

Quand on dit que le confinement a éclaté la rédaction, le cas de Guillaume Langin l’illustre on ne peut mieux puisque notre plus jeune journaliste se trouve à Nice : « Le confinement a temporairement séparé les membres de la rédaction, mais semble paradoxalement avoir rapproché la rédaction de ses lecteurs via les réseaux sociaux. Recevoir toutes ces contributions au #ChallengeLunaire est un vrai plaisir ! Pour le reste, mon travail de journaliste scientifique s’est jusqu’alors beaucoup fait au téléphone et devant mon écran, ce que le confinement n’empêche pas… Pas de grand changement de ce côté-là, j’ai même une meilleure connexion internet qu’au boulot. Pas le temps de s’ennuyer donc, bien au contraire. Je consulte dorénavant les archives de Ciel&Espace sur tablette via l’application “ciel & espace le +” (placement de produit !). Mais je suis quand même passé à la bibliothèque avant qu’elle ne ferme pour faire un stock de lectures diverses. Avoir un petit jardin aide beaucoup. Ce n’est pas le parc Montsouris, mais c’est déjà ça ! »

Quatre personnes dans une maison, avec un bureau commun pour les journées de travail et deux jardins. Crédit : Guillaume Langin

Pour certains membres de la rédaction, le télétravail était déjà une réalité avant le 17 mars. David Fossé, rédacteur en chef adjoint, ne passe pas toute la semaine au parc Montsouris. Son installation est donc plus ancienne : « Une planche, des tréteaux, un ordinateur et — important — un écran à la bonne hauteur et un bon siège : cela peut suffire pour télétravailler, avec évidemment l’indispensable connexion internet. Mais le confinement, ce n’est pas seulement du télétravail… C’est aussi l’impossibilité de bouger, notamment le week-end. Heureusement, j’ai quelques bonnes lectures ! »

La qualité du fauteuil trahit une installation pérenne, datant d’avant le confinement… © David Fossé

Du côté du rédacteur en chef, Philippe Henarejos, il y avait bien une place pour travailler à distance. Mais à quatre dans un appartement, il faut trouver un espace pour chacun : « Mes deux filles, étudiantes, ont chacune leur chambre, ma femme, éditrice dans un quotidien national, avait besoin de concentration, donc elle a pris le bureau que j’occupais de temps à autre, dans la chambre. Je me suis donc installé dans le salon, sur la table où nous mangeons le soir. Mais c’est bien mieux que si nous étions dans une base martienne (à tous ceux qui rêvent de s’exiler sur Mars, je ne doute pas que cette expérience de confinement vous invitera à bien réfléchir…) ! Nous avons un balcon donnant sur une bonne portion de ciel où, le soir, nous pouvons regarder Vénus, les Pléiades, et la Lune. Le travail à distance ralentit la transmission de l’information entre les rédacteurs (en vue des sujets à faire), mais aussi avec l’édition et la maquette. Mais globalement, la production pour le journal reste la même… Ciel & Espace va continuer à sortir et renforcer sa présence sur les supports numériques. »

En dehors des heures des repas, la table du salon devient un bureau de Ciel & Espace. Crédit : Philippe Henarejos
Le balcon sert à observer le ciel et à rédiger les articles invitant chacun à faire de même. © Philippe Henarejos

Alain Cirou, directeur de la rédaction et directeur de l’AFA, se trouvait en Normandie lors du début du confinement : « Une curieuse façon de renouer avec le ciel… Voilà mon confinement dans la superbe région du Perche dont je suis originaire. Avec, dans une ancienne ferme, un jardin qui donne sur les bois et la campagne. J’ai sorti la lunette pour observer le Soleil — une Zeiss fabriquée en RDA au cours du XXe siècle — sous l’œil intrigué du chien Marley qui court après les reflets de lumière. Et pour télétravailler, un bureau, quelques livres et un ordinateur portable pour fenêtre sur l’autre monde extérieur, celui des humains. Loin et très proche à la fois. »

Côté bureau... © Alain Cirou
..et côté cour avec une vue sur le ciel. © Alain Cirou

Un journal, c’est une rédaction, mais c’est aussi d’autres services, sans lesquels il ne pourrait fonctionner. La publicité et les opérations de partenariat, par exemple. Cécile Fouqué, bien que voisine des locaux de Ciel & Espace, gère désormais toutes ces affaires essentielles au magazine et à l’AFA depuis son appartement parisien : « Nous sommes deux dans 27m2 et pour l'instant tout se passe bien. Notre lieu de vie se transforme chaque matin en open space. Pas de balcon mais on ouvre grand les fenêtres et on s’improvise une mini-terrasse à 10h30 lorsque le soleil pointe le bout de son nez dans notre appartement. »

Côté verdure, dans l’open space personnel, c’est mieux à domicile qu’au bureau…Crédit : Cécile Fouqué

La comptabilité aussi a déménagé, comme le raconte Sandrine Dorbais : « Mon 30 m² s’est adapté à la situation : table transformée en bureau ; chaise réquisitionnée pour l’imprimante ; coussins pour amortir la dureté de ma “chaise de bureau”. Et je suis prête pour une nouvelle télé-journée de travail… sans oublier la petite pause “Soleil” à ma fenêtre vers 10h45 avant qu’il ne soit caché par les immeubles du quartier ! Bref, une routine s’installe. Y compris la symphonie expérimentale, composée par mon voisin, pour scie sauteuse, marteau, perceuse et parfois chœur de jurons quand il se tape sur les doigts ! J’espère avoir toujours un plafond au-dessus de ma tête à la fin de ses travaux. Téléphone et internet pour garder le contact avec mes collègues et ma famille, du chocolat pour le réconfort et le moral. Jusqu’ici tout va bien… »

Les affaires continuent pendant le confinement. Vous pouvez continuer à vous abonner à Ciel & Espace, la comptabilité est là ! © Sandrine Dorbais

Pour Nicolas Franco, des Réseaux et animations à l’AFA, le confinement rime plutôt avec animation… Difficile de trouver un peu de quiétude avec de jeunes enfants autour de soi : « Voici une photo, d’un de mes endroits “calmes” après d’infructueux essais pendant une semaine de bosser dans la salle commune… J’ai préempté la salle de jeux malgré la hauteur d’assise et l’extension du coude qu’impose un bureau d’écolier… Mais quoi de mieux pour animer des formations en ligne que d’être au milieu de Playmobil et de balles Pokemon afin d’expliquer la variation de hauteur de l’étoile Polaire selon les latitudes (à droite sur la photo). Et les visites dans la pièce animent un peu le travail. De toute façon, il était vain de penser que sanctuariser une zone dans le salon était possible. » Au point que finalement, il a fallu en arriver à une autre solution : « Je me suis mis en arrêt garde d’enfants et ne bosse que le soir ».

Quand le montage des podcasts élit domicile dans la salle de jeux de ses enfants… © Nicolas Franco

Jocelyne Lavital, qui assure le secrétariat et la relecture du magazine, est, elle, confinée dans son petit appartement parisien. Dès les premiers jours, elle a eu une initiative qui a contribué à resserrer les liens de toute l’équipe en demandant des nouvelles de nous tous. Un geste qui a rappelé que le travail n’est pas que l’accomplissement de tâches et qu’une équipe est un ensemble soudé par des relations humaines.

Enfin, le directeur adjoint de l’AFA, Éric Piednoël, a pris ses quartiers chez lui, en banlieue sud de Paris, avec une vue sur les arbres depuis son bureau, aménagé dans la chambre de sa fille, étudiante, qui est restée dans son studio : « Entre report des activités, des voyages, programmation des prochains événements comme les Nuits des étoiles ou les Rencontres du ciel et de l’espace, les cours en ligne, l'évolution technique de nos outils numériques, le temps passé devant un écran (notamment sur Skype) n'a jamais été aussi important. »

Vue sur la verdure pour le directeur adjoint de l’AFA. Crédit : Eric Piednoël

Éclaté, voire dématérialisé, Ciel & Espace, journal indépendant édité par l’AFA, est toujours là. Il poursuit sans relâche son exploration de l’Univers pour vous la faire partager. Nul ne sait combien de temps va durer le confinement. Ce qui est sûr, c’est qu’à la fin, l’Univers sera toujours à contempler et que nous serons là pour vous accompagner dans cette aventure. Bon week-end à tous

 

 
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