Quand il se met à parler de vieux télescopes, Ralph Nye devient intarissable. Et l’on comprend mieux pourquoi quand on jette un coup d’œil à son bureau de l’observatoire Lowell, dans l’un des bâtiments qui se cachent parmi les pins, au sommet de la colline Mars. Quasiment tout l’espace est occupé par une grande table à dessin sur laquelle s’empilent des plans de télescopes, souvent grandeur nature. Ici, le papier submerge les ordinateurs, qui servent pourtant à Ralph Nye pour ses modélisations en 3D. Outre des armoires remplies de revues et de traités d’optique, les murs sont surchargés de photos d’instruments en cours de rénovation. Et aussi de planches sur lesquelles se chevauchent des clichés de champs stellaires, de galaxies et de nébuleuses.
À 71 ans, celui qui est depuis des années le directeur des services techniques de l’observatoire se consume toujours d’une passion dévorante pour l’astronomie contractée dès l’enfance. “En 1976, j’ai quitté la Californie et mon boulot d’ingénieur dans une compagnie pétrolière que j’avais depuis sept ans, raconte-t-il. Mon rêve était de travailler pour un observatoire. Je suis venu dans l’Arizona et j’ai construit une maison où ma famille pourrait vivre.” Et lorsqu’un poste s’est libéré à l’observatoire Lowell, il a sauté dessus. Pour ne jamais le quitter.

Il ne pouvait trouver meilleur endroit. Car l’observatoire, fondé en 1894, abrite des merveilles de l’histoire de l’astronomie, au premier rang desquelles la lunette de 61 cm que Percival Lowell a faite construire pour observer Mars. C’est à travers ce tube long de près de 10 m que l’homme d’affaires américain devenu astronome a passé de longues nuits à scruter la surface de la planète rouge et à dresser une cartographie complète de ce qu’il pensait être un réseau de canaux construit par une civilisation déclinante. Or, depuis de nombreuses années, l’observatoire prend soin de son patrimoine. Et Ralph Nye n’y est probablement pas étranger. Depuis 1985, il a mené la remise en état de sept instruments majeurs. Et quand on lui demande combien il en a rénové en tout, il répond qu’il a arrêté de compter depuis longtemps.

Toutefois, son talent d’ingénieur amoureux des optiques anciennes a donné sa pleine mesure en 1999 quand l’observatoire a accepté de lui céder le Black Swarthmore College Telescope, véritable épave en train de rouiller dans un débarras. Une fois l’affaire conclue pour une poignée de dollars, Ralph a travaillé quatre ans et demi à la rénovation de l’instrument. Aujourd’hui, parmi la trentaine de télescopes qu’il possède, c’est son préféré. L’instrument lui permet de réaliser des images à grand champ de la Voie lactée d’une finesse dont il n’est pas peu fier.
Il n'existait aucun plan de la grande lunette de Lowell
Avec Ralph Nye, l’observatoire Lowell tenait l’artisan de la remise en état de ses instruments historiques. Plusieurs sont donc passés entre ses mains pour retrouver une nouvelle existence. Jusqu’à la pièce maîtresse, dont nul n’osait s’approcher : la lunette de 61 cm de Percival Lowell. En 2013, celle-ci commençait à être dans un piteux état et sa coupole en bois, exposée au froid et à la neige de ce site implanté à 2200 m d’altitude, accumulait dangereusement les stigmates du temps. Quand l’observatoire a réussi à trouver les fonds nécessaires pour la rénovation — 300 000 $ issus de mécènes et d’une campagne de financement participatif —, Ralph Nye a commencé par dresser les plans de l’instrument, car il n’en existait aucun. Il s’est rendu compte de l’ampleur de la tâche :
Aucune des vis utilisées pour assembler la lunette de 61 cm et sa monture n’était la même. À l’époque, il n’y avait pas de standard. Chaque vis était unique !
Il a donc fallu “cartographier” précisément chaque élément afin de pouvoir démonter l’instrument en ayant la certitude de pouvoir le remonter. Autre souci de taille : comment retirer les contrepoids et la monture ? Plusieurs pièces, notamment des axes, n’étaient pas fixées et risquaient de tomber et de se briser en retirant la lunette. Ralph Nye a alors imaginé des techniques complexes pour que la grue dépêchée sur place puisse soulever le tube, puis la monture, sans aucune casse. Il a même conçu des supports métalliques spéciaux destinés à soutenir ces pièces dans leur orientation initiale pendant la durée des travaux.

Pendant vingt mois, Ralph Nye et ses collègues ont remis à neuf l’instrument pendant que d’autres se concentraient sur les boiseries historiques de la coupole. Et à l’automne 2015, la lunette pointait de nouveau le ciel. Aujourd’hui, son aspect est celui d’un instrument neuf… tel qu’il aurait été construit à la fin du XIXe siècle. Tous les week-ends, quand le temps le permet, les visiteurs de l’observatoire, sur la douce colline qui domine Flagstaff, font la queue pour jeter un regard dans le vénérable réfracteur.
Sauver la découvreuse de Pluton
Il ne restait plus qu’un instrument de renom à sauver : celui grâce auquel l’astronome Clyde Tombaugh a découvert Pluton. Il s’agit d’une lunette de 33 cm de diamètre, au foyer de laquelle on installait un large support métallique rectangle destiné à accueillir de grandes plaques photo en verre. Construite en 1928 et 1929, cette lunette a été confiée au jeune Clyde Tombaugh qui a photographié méticuleusement des portions de ciel autour de l’écliptique. C’est ainsi qu’en février 1930, en comparant deux plaques d’une même région des Gémeaux, il a remarqué qu’un petit astre s’était déplacé. Baptisé Pluton, celui-ci allait devenir, pour 75 ans, la neuvième planète du Système solaire, avant d’être rétrogradé au statut de “planète naine” en 2005.
Alors que la lunette de Percival Lowell avait retrouvé tout son lustre, celle de Clyde Tombaugh était en mauvais état. La coupole censée l’abriter, elle aussi en bois, n’était plus étanche et sa charpente commençait à pourrir. Une nouvelle levée de fonds a permis de réunir les 155 000 $ nécessaires aux travaux. Ralph Nye et ses collègues ont donc extrait l’instrument du bâtiment et entrepris sa réhabilitation dans un atelier situé à moins de 100 m de là. En ce mois d’août 2017, le vieux réfracteur est entièrement désossé. Sur une longue table se chevauchent les supports des plaques photographiques, les cercles gradués en bois, les colliers de serrage du tube et le système de mise au point. Mais déjà, Ralph Nye a œuvré : toutes ces pièces détachées sont comme neuves. À l’aide de photos qui traînent encore sur la table, le telescope guy ("le gars des télescopes”), comme on le surnomme ici, a repeint méticuleusement les graduations et les chiffres dans leur typographie d’origine. Chaque pièce en cuivre ou en laiton semble sortir de l’usine.


ont été démontés et réparés. © P. Henarejos

L’objectif de la lunette est sur un banc optique dans une salle voisine. Chaque lentille du triplet a été démontée et nettoyée avant d’être remise en place exactement dans sa position d’origine (des marques du constructeur, Alvan Clarck et Fils, servant de repères). L’objectif n’attend plus que de retrouver sa place au bout du tube, qui est encore en réfection dans une autre partie de l’atelier. Protégé sous une housse en plastique, le tube affiche une belle teinte argentée. La monture métallique va subir le même traitement. Elle a été débarbouillée de la peinture rouge dont elle avait été enduite au cours du XXe siècle et va retrouver sa teinte d’origine. “Nous croyons qu’elle était argent : cette couleur se trouvait sur des parties de la monture qui n’avaient jamais été démontées”, précise Ralph Nye.
Même s’il est toujours en pièces détachées, l’astrographe qui a permis la découverte de Pluton est maintenant restauré. Ralph Nye annonce : “Il ne peut pas être installé tant que la restauration du dôme n’est pas finie. Ce qui devrait être le cas autour du mois de novembre 2017.”
Mise à jour du 17 janvier 2018 :
Aujourd'hui, la lunette a été entièrement remontée et a retrouvé sa place sous sa coupole historique. Et elle est en parfait état de fonctionnement.


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