Haut de 47 mètres et capable d’emporter jusqu’à 1,8 tonne de charge utile vers une orbite de transfert géostationnaire (GTO), le premier exemplaire d’Ariane 1 devait théoriquement s’arracher de son pas de tir le 15 décembre 1979. C’est finalement neuf jours plus tard que la mission L01 décolle dans le ciel de la Guyane et propulse l’Europe vers son autonomie dans l’espace. La charge utile sous la coiffe de la fusée est un satellite expérimental CAT-1, qui doit fournir des données sur ce premier vol. « Réussir un 24 décembre, à la dernière tentative, on peut appeler cela un cadeau de Noël », a déclaré Guy Dubau, ancien directeur d’Arianespace en Guyane, le 26 novembre 2019, lors du lancement de la mission VA 250 d’Ariane 5.




Un cadeau dont la genèse prend sa source dès les années 1960. C’est en pleine course à la Lune que la France s’engage également dans la construction de fusées pour créer sa dissuasion nucléaire. Le 26 novembre 1965, le lanceur Diamant met sur orbite le « Spoutnik français », le petit satellite Astérix A-1. L’Hexagone devient ainsi la troisième puissance spatiale mondiale derrière les États-Unis et l’URSS. Parallèlement naît dès 1961 le projet de la fusée Europa, dont trois pays se partagent la réalisation : le Royaume-Uni (1er étage Blue Streak), la France (2e étage Coralie) et l’Allemagne (3e étage Astris). Six échecs au lancement, et surtout un manque de coordination entre les trois participants, conduisent à l’annulation du programme.
Le diktat américain
Mais le véritable déclencheur pour la naissance d’Ariane vient d’outre-Atlantique. Pour lancer les deux satellites de télécommunications européens Symphonie, les États-Unis mettent comme condition que l’Europe ne les utilise pas commercialement. Un accès indépendant à l’espace devient essentiel. « Symphonie, c’est le père d’Ariane », déclarera en 1980 Hubert Curien, alors président du Cnes.

À l’aube des années 1980 avec Ariane 1, c’est donc une nouvelle ère qui s’ouvre pour l’espace européen. Entre le 24 décembre 1979 et le 12 juin 1989, il y aura 28 tirs de fusées Ariane 1 à 3, la dernière pouvant emporter 850 kg de plus que la première. Plus puissante encore, Ariane 4 permet d’envoyer jusqu’à 7 tonnes en orbite basse (LEO) et de 2,1 à 4,9 t en orbite géostationnaire (GEO). Déclinée sous six versions différentes de 1988 à 2003, elle sera lancée 116 fois.
Les performances seront encore améliorées avec les cinq déclinaisons d’Ariane 5, initialement prévue pour emporter la navette habitée Hermès. La nouvelle fusée décolle pour la première fois en 1996, tir qui se soldera par un échec, l’un des rares. Le 1er juin 2017, les satellites de télécommunications ViaSat-2 et Eutelsat 172B du vol VA 237 représentaient une masse totale de 10,9 tonnes. Mais la charge la plus lourde lancée par Ariane 5 (sur orbite basse toutefois) est le vaisseau cargo ravitailleur ATV Georges Lemaître avec 20 tonnes à la pesée.
Des performances multipliées par 10 en 40 ans
En quarante ans, les performances de la famille Ariane ont été multipliées par dix, ce qui lui a permis de s’assurer une place sur le marché des lancements de satellites commerciaux, dominé initialement par les États-Unis. Avec la navette, en service à partir de 1981, l’Oncle Sam a pensé un temps renforcer sa position de leader. Mais l’avion spatial américain ne fera pas baisser les coûts d’accès à l’orbite terrestre. Pas plus qu’il n’enverra les fusées à la retraite. Et l’explosion de la navette Challenger le 28 janvier 1986, entraînant la mort des sept astronautes de la mission STS-51L, sonne le glas de ces ambitions. Pour Ariane, c’est l’occasion de devenir l’opérateur numéro un du marché. Elle gagnera jusqu’à 60 % des lancements commerciaux en 2009. Une place au sommet qui lui est aujourd’hui disputée par Space X et sa fusée Falcon 9 semi-réutilisable.

Quatre décennies plus tard, après 451 satellites envoyés dans l’espace, la machine à lancer Ariane est contrainte de se renouveler. Ariane 5 ne peut plus faire face à la concurrence, essentiellement en matière de prix. Un nouveau chapitre s’ouvre donc avec Ariane 6, dont l’objectif est de proposer des lancements de satellites avec des coûts de 40 à 50 % inférieurs à ceux d’Ariane 5.
Si Ariane 1 a eu pour but d’assurer l’autonomie de l’Europe dans l’espace, Ariane 6 aura exactement le même rôle face à la concurrence américaine de Space X ou encore chinoise avec Longue Marche. « L’histoire se répète. Nous ne pouvons nous permettre d’être dépendants en matière d’accès à l’espace », déclarait André-Hubert Roussel, le directeur général d’Arianegroup, lors d’un récent rendez-vous organisé par l’AJPAE.
Lors de la conférence de l’ESA qui s’est tenue à Séville les 27 et 28 novembre, les ministres européens de la Recherche des 22 États membres l’ont compris et ont garanti pour les lanceurs un budget de 2,7 milliards d’euros jusqu’en 2022 (dont 512 M€ pour l’entretien du Centre spatial guyanais sur cinq ans). Une manière d’assurer les trois années de transition prévues entre Ariane 5 et Ariane 6, dont le premier envol est attendu fin 2020, et ainsi la poursuite de l’aventure européenne dans l’espace.