A-t-on vraiment découvert une neuvième planète ?

Depuis la sortie d'une nouvelle étude de Mike Brown, les médias s'emballent et annoncent l'existence d'une neuvième planète dans le Système solaire. Pourtant, la découverte, loin d'être assurée, pourrait être contredite dans une future étude française.

Si elle existe, la neuvième planète serait comparable à Neptune (ici, une vue d'artiste). © Caltech/IPAC

 

Non, nous n'avons pas observé de nouvelle planète autour du Soleil. L’emballement médiatique s'est créé à partir de l'article publié le 20 janvier 2016 par deux chercheurs du Caltech, institut respecté de Pasadena en Californie. Les chercheurs sont tout autant respectés : il s'agit de Mike Brown et son ancien assistant Konstantin Batygin. Mike Brown est une sommité de la mécanique céleste, connu comme le « tueur de Pluton » (c'est sa découverte d'Eris en 2005 qui mènera à la destitution de Pluton en tant que planète en 2006). Vous pouvez d'ailleurs relire son interview, quasi prémonitoire de cette annonce, dans notre dossier de juillet-août 2015. Leurs travaux méritent donc attention.

Qu'annoncent-ils ? Dans leur article paru dans la revue Astronomical Journal, Brown et Batygin expliquent les trajectoires de corps aux confins du Système solaire à l'aide de l'hypothèse d'une neuvième planète, d'une masse voisine de dix fois celle de la Terre. Notez donc que l'article scientifique ne cherche pas à prouver son existence, mais la possibilité de celle-ci.

Dans le détail, les deux astronomes ont constaté deux phénomènes pour l'instant inexpliqués. Les orbites de six corps de la Ceinture de Kuiper, dont Sedna, se croisent au niveau de leur périhélie, leur plus courte distance au Soleil. De plus, leur plan orbital est très similaire, comme aligné. Une telle coïncidence aurait une probabilité extrêmement faible d'arriver par hasard (de l'ordre de 0,007%). Toute la question est donc d'en connaître la cause.

En rose, les trajectoires des six objets de la Ceinture de Kuiper étudiés.
En orange, la trajectoire de l'éventuelle planète.

 

Pour les chercheurs, la cause pourrait être une planète de type Neptune, géante et massive, placée au bon endroit en opposition. D'après leurs calculs, cela amène à une orbite 7 à 20 fois plus éloignée que Neptune, comprise entre 200 (au plus proche) et 1200 UA (unités astronomiques ; 1UA équivaut la distance Terre- Soleil).

À plus de 200 fois la distance Terre-Soleil

Cette neuvième planète serait donc très lointaine (la sonde Voyager 1 n'est qu'à 125 UA du Soleil) et effectuerait le tour du Soleil en 15 000 ans. Ils l'imaginent gazeuse, conçue en même temps qu'Uranus ou Neptune, avant d'être éjectée bien plus loin, suite à différentes collisions. Une telle hypothèse est également envisagée pour expliquer les orbites penchées de Neptune et surtout d’Uranus.

Si cette planète existe réellement, elle serait donc si lointaine que l'observer sera très ardu. Cela exigerait les plus grands télescopes, comme le Subaru à Hawaï, ou le futur télescope spatial James Webb.

D'autres explications sont possibles

Si les scientifiques reconnaissent la rigueur de l'étude, c'est sa conclusion unique qui dérange. En effet, Mike Brown et Konstantin Batygin présentent l'hypothèse de la neuvième planète comme la seule explication possible au phénomène orbital étudié.

Or, d'après d'autres chercheurs, les données peuvent très bien être incomplètes. Nous n'avons pas connaissance de tous les objets de la Ceinture de Kuiper, et il suffirait d'en trouver six autres avec des orbites opposées pour expliquer le regroupement des périhélies constaté. À moins que ce ne soit dû à un autre mécanisme encore inconnu.

Étude française contradictoire en approche ?

Enfin, et ce sera peut-être le coup fatal porté à l'hypothèse de Brown et Batygin, une étude sur le même sujet est en préparation à l'observatoire de Nice et l'IMCCE, à Paris. Agnès Fienga travaille sur cette étude, qui devrait paraître dans les prochaines semaines. L’astronome nous a fait part de ses doutes sur l'existence de la neuvième planète décrite par le Caltech. « Nous avons travaillé à l'aide des orbites de Saturne et de Jupiter, obtenues par les données récentes de la sonde Cassini. Et nous n'arrivons pas aux mêmes résultats qu'eux », raconte la chercheuse niçoise.

Ces données, encore en attente d'être finalisées, montreraient l'impossibilité de trouver une planète massive à une distance inférieure à 1200 UA. Soit le maximum de celle de Caltech ! Deux études présenteraient donc deux résultats incompatibles. Quelle méthode aura raison entre l'étude des planètes géantes Saturne et Jupiter, ou bien celle des objets de la Ceinture de Kuiper ? La neuvième planète, toujours pas découverte, va susciter un débat intéressant... Que seule une détection directe — par exemple, une photo — pourra clore.

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