Une menace russe sur les astronautes américains ?

Lancement d'un vol habité par une fusée Soyouz. Crédit : Nasa

Le département d'État américain a annoncé le 28 avril 2014 qu'il interdisait toute exportation ou re-exportation vers la Russie de technologies « contribuant au potentiel militaire » de Moscou.

Cet embargo, lié à la crise ukrainienne, concerne notamment le secteur de l'industrie spatiale. En empêchant potentiellement l'envoi par des fusées russes de satellites américains ou européens (utilisant en partie de la technologie américaine), il pourrait à terme écarter la Russie du marché des lancements.

Le vice-Premier ministre russe Dmitri Rogozine, responsable du complexe-militaro industriel, a répliqué en suggérant « que les États-Unis envoient leurs astronautes sur l'ISS avec un trampoline ».

Rodomontades...

Au-delà de la boutade, est-il possible que les restrictions américaines en matière d'exportation de technologie spatiale affectent l'envol d'astronautes américains et européens depuis Baïkonour ?

« Concernant la gestion de la station spatiale internationale (ISS), Russes, Américains et Européens sont liés avec d'autres partenaires par des accords intergouvernementaux, qui ont quasiment valeur de traités et qu'il serait complexe de dénoncer », rappelle Xavier Pasco, coordonnateur du pôle « Espace, haute technologie et sécurité » à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Par conséquent, il est peu probable que l'annonce du département d'Etat ait un impact significatif sur le programme des vols humains.

Par ailleurs, les lancements d'astronautes assurés par les fusées Soyouz depuis la base de Baïkonour sont des sources de devises dont la Russie n'a pas intérêt à se priver.

... et vraies inquiétudes

En revanche, ces restrictions pourraient durement toucher les industriels. Côté russe, mais aussi américain… « La Satellite Industry Association, qui défend les intérêts économiques des industriels américains auprès des politiques, s'est inquiété publiquement de l'impact de ces décisions politiques » note Xavier Pasco.

Sous la présidence de George W. Bush, le secteur avait déjà souffert du durcissement des règles en matière d'exportation de matériel sensible (ITAR), qui restreint de fait le marché accessible aux américains. Ce durcissement avait aussi mis au jour la dépendance des constructeurs de satellites européens vis à vis de l'industrie US, ravivant sur le vieux continent le projet de créer des filières « ITAR-free », indépendantes de l'allié américain.« Après l'assouplissement décidé par le président Obama en 2013, ces préoccupations semblaient s'éloigner. Là elles reviennent en force. »

Des industries interdépendantes

Reste la guerre froide est terminée depuis longtemps. « Aujourd'hui, les industries spatiales russes et américaines sont interdépendantes sur plusieurs aspects » souligne Xavier Pasco. Le 1er étage du lanceur militaire lourd Atlas V, utilisé par l'US Air Force, est propulsé par le moteur RD-180 de la compagnie russe NPO Energomash. Le 1er étage de la fusée Antarès est construit en Russie. La plateforme de lancement de Sea Launch, la compagnie qui lance la fusée Zenit (essentiellement Russe), est basée en Californie...

Conséquence : « Il est très probable que, face aux postures des politiques, l'industrie va jouer le rôle de tampon pour aplanir les problèmes. » De part et d'autre, il y aurait beaucoup à perdre à couper les ponts.

Tirer son épingle du jeu

Dans cette situation, il y a au moins un industriel qui semble vouloir tirer son épingle du jeu. Elon Musk, le patron de la compagnie Space X, a annoncé il y a quelques jours qu'il allait poursuivre l'US Air Force en justice, suite à sa décision d'accorder le marché des lancements de satellites militaires à United Launch Alliance (ULA), une compagnie fondée par les deux géants Lockheed Martin et Boeing.

Musk, qui juge que Space X est capable de lancer ces satellites à moindre coût, considère que l'absence d'appel d'offre est préjudiciable au contribuable américain. Par ailleurs, la fusée Atlas V fabriquée par ULA utilise des moteurs russes, or « vu les circonstances internationales, il ne semble pas que ce soit le bon moment d'envoyer des centaines de millions de dollars au Kremlin » écrit le patron de Space X dans sa plainte.

Ce 30 avril 2014, Elon Musk a aussi directement répondu aux propos de Dmitri Rogozine. « C'est apparemment le bon moment de présenter le nouveau vaisseau Dragon Mk 2 sur lequel la société Space X travaille avec la Nasa. Pas besoin d'un trampoline. »

[Mise à jour du 02/05/2014 : À la suite de la plainte d'Elon Musk, la cour fédérale américaine a publié une injonction interdisant à United Launch Alliance d'acheter de nouveaux moteurs RD-180 à la compagnie russe NPO Energomash. ULA possède suffisamment de moteurs pour lancer ses fusées Atlas V pendant deux ans. Au-delà, la construction du moteurs aux Etats-Unis est possible mais nécessitera du temps. La compagnie américaine a publié un communiqué le 1er mai dans laquelle elle dénonce la tentative de Space X d'interrompre un contrat de lancement de défense nationale, "ignorant les implications pour la sécurité nationale et la capacité de la Nation à envoyer des américains à bord de la station spatiale internationale."]

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