Océan de Mars : la preuve par le tsunami

Ces dépôts lobés qui remontent les pentes sont les traces d'un gigantesque tsunami sur Mars. ©Nasa/JPL/Univ. of Arizona
Un raz de marée gigantesque, provoqué par la chute d’un gros astéroïde dans une vaste étendue d’eau, a eu lieu sur la planète rouge voici 3 à 3,5 milliards d’années. Les astronomes en retrouvent la trace dans une région de transition entre les basses plaines de l’hémisphère Nord et les hauts plateaux de l’hémisphère Sud.

Il y avait bel et bien un océan sur la planète Mars. Après de longues années de controverse, cette question semble maintenant tranchée de manière nette par une équipe majoritairement française dirigée par François Costard, de l’Université Paris Sud.

D’étranges structures lobées

Les scientifiques sont partis d’observations réalisées depuis longtemps par des sondes spatiales qui avaient photographié la surface de Mars. À la limite entre les basses plaines de l’hémisphère Nord et des hauts plateaux de l’hémisphère Sud, au nord de la région baptisée Arabia Terra, ces photos montraient d’étranges structures lobées, en forme d’empreintes de doigts gigantesques.

Jusque-là, elles étaient interprétées comme des lignes de rivage (mais elles n’étaient pas toutes à la même altitude) ou comme des coulées de boues peut-être dues à des épisodes volcaniques. Seulement voilà, en 2015, l’équipe de François Costard constate que cela ne colle pas :

Grâce à l’altimétrie radar précise fournie par la sonde Mars Global Surveyor, nous observons que les dépôts lobés remontent les pentes. Dès lors, une seule interprétation est possible : ce sont des dépôts de tsunamis qui montent parfois de 100 m sur des distances allant jusqu’à 150 km.

Qui dit tsunami, dit étendue d’eau. En 2016 déjà, une autre équipe, travaillant indépendamment sur le sujet était arrivée à la même conclusion. Avec un seul phénomène capable de produire des raz de marée d’une telle ampleur : la chute de grosses météorites dans un océan.

François Costard et ses collègues se sont attachés cette fois à consolider l’hypothèse : « Nous nous sommes concentrés sur les dépôts lobés et avons entrepris de réaliser un modèle numérique pour savoir quels cratères de l’hémisphère Nord seraient susceptibles de correspondre à cet événement. »

Un coupable idéal : le cratère Lomonosov

Trois cratères ont retenu l’attention des scientifiques : Micoud (50 km de diamètre), situé à proximité des « côtes » ; un autre, anonyme (42 km), situé 750 km plus au nord ; enfin Lomonosov (130 km), à 450 km à l’ouest du deuxième. « Pour faire notre modèle numérique d’impact, nous avons pris en compte les données altimétriques, détaille François Costard. Nous avons postulé trois niveaux de la mer possibles, et on a effacé les cratères. »

En simulant des impacts correspondant à ces trois cratères, et en comparant les effets produits par les vagues géantes (les dépôts lobés), un favori s’est dégagé : Lomonosov. Et ce d’autant plus que sa morphologie correspond en tout point à un cratère d’impact creusé au fond d’une étendue d’eau, comme le précise François Costard :

Le cratère Lomonosov a des doubles remparts abîmés par leur effondrement lié à un matériau gorgé d’eau et il n’est pas entouré d’éjectas lobés.

Selon le modèle numérique, un bolide capable de creuse le cratère Lomonosov aurait formé dans l’antique océan martien une cavité transitoire d’environ 70 km de diamètre. La première vague due au choc aurait été colossale, indique François Costard :

Cette vague de 300 m de haut se serait propagée à 220 km/h. Quelques heures plus tard, elle aurait atteint le rivage situé quelque 1200 km plus au sud. Sa vitesse aurait encore été à ce moment-là de 110 km/h, ce qui est bien plus rapide qu’un tsunami terrestre issu d’un mouvement sismique.

Mais ce n’est pas tout : le cratère Lomonosov, initialement de 20 km de profondeur, se serait ensuite brusquement rempli une fois la première vague expulsée. « Il se produit alors une sorte de rebond qui engendre une deuxième vague, qui s’échappe à la même vitesse mais qui est encore plus haute, dit François Costard. » Cette vague aussi vient ravager les côtes quelques heures plus tard.

La modélisation numérique permet de suivre la progression des deux vagues du tsunami provoqué
par la chute d'une grosse météorite dans l'océan martien.
© F. Costard et al.

Un océan il y a 3,5 milliards d’années

Reste une question cruciale : quand a eu lieu l’impact et le tsunami géant qui a suivi ? Dans l’équipe, Sylvain Bouley (université Paris Sud) est spécialisé précisément dans la datation des terrains sur Mars. La méthode consiste à compter les cratères d’impact. Très grossièrement, plus il y en a (spécialement des gros), plus le terrain est ancien. « Nous avons réalisé le comptage des cratères sur les dépôts du tsunami », précise-t-il.

Son verdict, établi à partir d’une vaste zone de 300000 km2, est sans appel : le tsunami a eu lieu à la transition de deux ères géologiques martiennes, l’Hespérien et l’Amazonien. Autrement dit, il y a 3 à 3,5 milliards d’années.

Problème : à cette époque, sur Mars, la température était déjà froide et la pression atmosphérique avait baissé sensiblement (autour de 0,2 bar). Au point qu’il semble difficile qu’un océan ait pu se maintenir longtemps. « L'événement est survenu après l'époque d'activité fluviale de Mars et en même temps que les épisodes de vallées de débâcle », précise Sylvain Bouley.

Un pan de l’histoire de Mars à réviser ?

Les observations sur le tsunami sont robustes. Le résultat, présenté en congrès scientifique de planétologie à Houston (Texas) fin mars 2017, a été bien accueilli par l’ensemble des spécialistes. Les scientifiques doivent donc trouver un mécanisme qui explique la présence d’un océan boréal sur Mars à cette époque finalement assez tardive.

Soit l’océan était stable, et il faut revoir légèrement les modèles d’évolution du climat martien. Soit, plus probablement, il faut envisager la formation d’un océan temporaire due par exemple à un regain d’activité volcanique qui aurait fait fondre une grande quantité de sol gelé. L’hypothèse avait d’ailleurs été sérieusement évoquée en 2012 à la suite d’observations de la sonde européenne Mars Express. « Cela va créer des contraintes nouvelles pour les climatologues et les géochimistes », conclut François Costard.

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